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Séquence autour de « Cannibale » de Daeninckx et Reuzé

Dans le cadre d’une séquence ayant trait au personnage de roman, nous avons choisi de nous intéresser aux personnages qui traversent une œuvre romanesque inspirée de faits et d’événements historiques. Il s’agit du roman Cannibale de Didier Daeninckx paru en 1998. L’histoire conte l’odyssée de Gocéné, de la tribu de Tendo, envoyé France en 1931 afin de participer à l’Exposition Coloniale de Paris. Avec lui, plus d’une centaine de kanak, dont Badimoin son ami, et Minoé sa protégée. Exposés dans une sorte de zoo humain, ils seront avilis au point que certains d’entre eux seront échangés contre des crocodiles et partiront en Allemagne. Minoé fait partie de ces exilés. Gocéné part à sa recherche.

Nous vous proposons donc de découvrir une œuvre qui, oscillant entre fiction et réalité, évoque un événement qui a vivement marqué la mémoire des « vieux » et qui interpelle toujours les hommes d’aujourd’hui. Entre passé et présent les tribulations du héros nous font participer à des aventures humaines inoubliables.

Portrait de Didier Daeninckx, né en 1949

Portrait de Didier Daeninckx, né en 1949

NOTA BENE

Afin d’en savoir plus sur l’oeuvre, son auteur et les faits historiques qui ont servi de base à la rédaction de cette fiction, nous vous conseillons de prendre connaissance du travail de recherches qu’ont effectué vos camarades du lycée dans le cadre de l Enseignement d’Exploration 2012. Leurs productions vous permettront de bien saisir les dimensions historiques et poétiques de l’œuvre.

Passez la souris sur l’onglet « activités pédagogiques » de  la page d’accueil du site de notre lycée, allez dans « Enseignements d’exploration » et cliquez sur « Cannibale » de Daeninckx. Vous y êtes ! Vous pouvez prendre connaissance des travaux des élèves en cliquant sur « Productions des élèves » ainsi que sur « Images et acrostiches ».

Vous pouvez découvrir la BD au CDI. N’hésitez pas à la demander à monsieur Collet qui se fera un plaisir de vous la fournir.

Après les extraits de l’œuvre originale, vous découvrirez des textes d’époques diverses qui remettent en cause les conceptions racistes  ayant trait à la colonisation et à la supériorité supposée des occidentaux  sur les autres peuples de la planète.

Emmanuel Reuzé, né en 1974

Emmanuel Reuzé, né en 1974

Du roman à la bande dessinée

Cannibale, scandale de l’exposition coloniale de 1931 est une bande dessinée créée par Emmanuel Reuzé à l’occasion du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Il s’agit donc là d’une mise en images du récit de Didier Daeninckx et il sera intéressant de voir de quelle manière le dessinateur s’est approprié le texte du romancier. Ainsi trois extraits du roman seront analysés dans cette séquence, extraits que nous confronterons à des planches extraites de la BD.

 

Lecture analytique 1 : L’incipit : du début jusqu’à « (…) je vais aller leur parler ».

En voiture la vitesse émousse les surprises, mais il y a bien longtemps que je n’ai plus la force de couvrir à pied les cinquante kilomètres qui séparent Poindimié de Tendo. Le sifflement du vent sur la carrosserie, le ronronnement de la mécanique effacent les cris des roussettes perchées au sommet des niaoulis. Je ferme les yeux pour me souvenir que là, juste après l’alignement des pins colonnaires, il fallait quitter la piste de latérite, s’enfoncer dans la forêt et suivre les chemins coutumiers. Les anciens nous avaient appris à nous recueillir près d’un banian centenaire dont les racines aériennes formaient une sorte de passage voûté voué à la mort. On repartait. Le sentier se courbait sur le flanc de la colline, et il arrivait un moment où le sommet de la tête franchissait la crête. On retenait son pas, sa respiration. En une fraction de seconde, le monde changeait de visage. La terre rouge, le vert sombre du feuillage, l’habillage argenté des branchages disparaissaient, effacés par la saturation de tous les bleus de la création. On clignait des yeux pour discerner, au loin, la ligne qui mariait mer et ciel. En vain. Tout ici était aussi transparent que le regard. On s’habituait peu à peu à la vibration de l’air. L’écume traçait la ligne ondulante de la barrière de corail, et au large le sable trop blanc rayonnait autour des îlots.

L’écart que fait Caroz, pour éviter une fondrière, m’arrache à ma rêverie.

– Excuse-moi, je l’ai vue au dernier moment. Je t’ai réveillé ?

– Non, je contemplais la baie de Hienghene… On n’arrive pas à y croire tellement c’est beau…

Caroz se met à rire. Il lâche le volant d’une main pour me taper sur l’épaule.

– Tu as raison, Gocéné ! C’est tellement beau comme paysage qu’on l’apprécie encore davantage les yeux fermés…

– Tu ferais mieux de regarder devant toi, au lieu de raconter n’importe quoi…

Cent mètres plus bas, deux cocotiers abattus coupent la piste. Caroz redevient sérieux. Il ralentit en freinant par à-coups.

– Tu savais qu’il y avait des barrages dans le secteur ? J’ai écouté la radio avant de partir, ils n’en ont pas parlé.

– Non… Mais il fallait s’attendre que ça gagne du terrain… Tout le nord de la Grande-Terre est isolé du monde depuis des semaines, et il ne se passe rien. Personne ne veut discuter. Dans ce pays, la révolte c’est comme un feu de broussaille… Il faut l’éteindre au début. Après…

On distinguait maintenant la fourgonnette bâchée, une japonaise, dissimulée par un rideau de larges feuilles de bananier. Deux jeunes hommes vêtus de jeans, de tee-shirts bariolés, le visage encadré par la lourde coiffe rasta, se tenaient embusqués derrière la cabine du véhicule, leurs armes braquées dans notre direction.

L’emblème de la Kanaky flotte au-dessus de leurs têtes, accroché à l’une des pointes d’une fougère arborescente. Malgré moi, je me mets à parler à voix basse :

– Surtout, ne va pas droit sur eux… On ne sait jamais, ce sont des mômes… Prends légèrement vers la droite, et arrête-toi près du rocher en laissant le moteur tourner, je vais aller leur parler…

 

Questions

 1)      Quels champs lexicaux dominent dans le premier paragraphe du texte ? Qu’en concluez-vous ?

2)      Quel événement vient perturber le récit ?

3)      Quel lexique domine dans le reste du texte ?

Lecture analytique 2 : de « L’air de musique (…) » jusqu’à « (…) par nos ancêtres ».

L’air de musique avait installé sa nostalgie dans ma tête. J’ai fermé les yeux.

– Qu’est-ce que tu as, Gocéné ? Ça ne va pas ?

J’ai avalé un grand verre d’eau, respiré profondément.

– A certains moments, le découragement s’empare de moi. Je me dis que nous ne reverrons jamais notre village, notre tribu… Alors je fais comme tu viens de le voir, je baisse les paupières… Les images viennent tout doucement… Fais comme moi, Badimoin… Regarde, tu vois la piste, au bord du creek ? Elle monte en lacet de Hienghene jusqu’à Tendo. Nous marchons dans l’ombre des pins colonnaires. Les roussettes prennent leur envol en criant et filent vers la tribu de Tiendanite pour prévenir les amis de notre retour. Les femmes se relèvent, dans les champs d’ignames, de taros, et nous font des signes de bienvenue. Tous les enfants des tribus de la montagne nous entourent. « Gocéné, Badimoin, c’était comment l’Europe, c’était comment Paris, c’était comment la France ? »

Il a les yeux clos, lui aussi, et il voit.

– Qu’est-ce que tu leur réponds ? Tu leur parles du zoo de l’Exposition coloniale, de l’enlèvement de Minoé ?

– Non, je leur invente un conte, je leur dis que c’est beau, que c’est le pays des merveilles, pour ne pas briser leurs rêves… Mais très tard dans la nuit, alors qu’ils dorment dans les bras de leurs mères, quand les cendres étouffent les derniers brandons, je raconte, à voix basse, pour les anciens qui ont vu arriver les missionnaires sur la Grande-Terre. Je leur explique qu’on nous obligeait, hommes et femmes, à danser nus, la taille et les reins recouverts d’un simple manou. Que nous n’avions pas le droit de parler entre nous, seulement de grogner comme des bêtes, pour provoquer les rires des gens, derrière les grilles… Qu’on nous a séparés ainsi qu’on le fait d’une portée de chiots, sans qu’aucun ne sache où était son frère, sa sœur. Qu’on nous traitait d’anthropophages, de polygames, qu’on insultait les noms légués par nos ancêtres…

 

Questions

 1)      Dans quelle mesure peut-on dire que Gocéné, au début de l’extrait, est un personnage en crise ?

2)      Quels sont les principaux éléments de la « vision » du héros ?

3)      Pour quelles raisons peut-on dire que la fin du récit est nettement plus sombre ?

planche3

Lecture analytique 3 : de « Le vent qui se lève sur la baie de Hienghene (…) » jusqu’à la fin ».

Le vent qui se lève sur la baie de Hienghene agite le drapeau de Kanaky, les branches des fougères arborescentes et les larges feuilles des palmiers. Au loin, après la masse sombre des falaises de basalte, les vagues paresseuses rident l’eau blanche du lagon. Kali se penche vers les braises pour allumer sa cigarette. Il tire plusieurs bouffées en silence avant de se décider à parler :

– Dis-moi, grand-père… Celui qui t’a sauvé la vie, à Paris, c’est l’homme qui conduisait la Nissan et qui t’a laissé ici tout à l’heure ?

Wathiock ne me regarde pas. Il fait semblant de s’intéresser au vol d’un couple de perruches autour d’un manguier.

–  Oui, c’est bien lui… Le vieux qui m’accompagnait et que vous avez chassé…

Kali mordille nerveusement son mégot. Il recrache le tabac qui s’est collé à ses lèvres.

– On ne pouvait pas savoir, sinon on vous aurait laissés passer…

– Le problème, c’est que, si tu nous avais ouvert le barrage, à l’heure qu’il est, tu ne saurais rien de lui !

Je tends mon verre à Wathiock pour qu’il me verse encore un peu de thé. Il entoure l’anse de la bouilloire pour ne pas de brûler.

– C’était un Caldoche qui visitait l’Exposition ?

J’aspire un peu de liquide sucré.

– Non… Il habitait dans la banlieue parisienne, à Saint-Denis, et travaillait sur les gazomètres du quartier de la Plaine… Il s’appelle Francis Carroz. Un ouvrier sans histoires, un homme qui ne supportait pas qu’on tue des innocents, qu’ils soient noirs ou blancs…

Kali jette son mégot dans les braises, d’une chiquenaude.

– Comment vous vous êtes retrouvés tous les deux ici, en Kanaky ?

– Il y a une quinzaine d’années, j’ai reçu une lettre de France. Sur l’enveloppe il y avait écrit : Monsieur Gocéné, tribu de Canala, Nouvelle-Calédonie. Un parent est venu me l’apporter jusqu’à Tendo. Ma petite-fille me l’a lue. C’était Francis Caroz. Il était retraité, et sa femme venait de mourir. Je lui ai répondu. Il est venu en vacances, pour découvrir notre pays. Le charme l’a ensorcelé, il n’est jamais reparti.

Je me lève.

Mon histoire est terminée, il faut maintenant que je me remette en route.

Kali et Wathiock m’accompagnent, leurs fusils à la main, alors que je me dirige vers le petit sentier de montagne qui coupe à travers la forêt de niaoulis. Ils se décident à parler presque en même temps :

– Grand-père, il y a une chose que tu as oublié de nous dire…

Je m’arrête pour les regarder. Leurs yeux brillent de malice. Kali se dévoue :

– Et Minoé, la fille du petit chef de Canala, tu l’as revue ?

– Elle m’attend là-haut, à Tendo, et avec tout ce qui se passe dans le pays, elle doit commencer à se faire du souci…

Je reprends mon chemin et me retourne une dernière fois avant de passer la crête de la colline. Les deux garçons me font des signes, grimpés sur les arbres couchés du barrage. Il me faut une heure pour atteindre le creek. Je longe les champs d’ignames et de taros de la tribu de Ganem quand deux hélicoptères déchirent le ciel en suivant le tracé du cours d’eau. Je les observe qui plongent vers la baie. Les premiers coups de feu claquent, éparpillant tous les oiseaux de la forêt. Une phrase me revient en tête :

– Les questions, on se les pose avant… Dans un moment pareil, ce serait le plus sûr moyen de ne rien faire.

Mon corps fait demi-tour.

 

Questions

1)      Dans quelle mesure cet excipit apporte-t-il des réponses aux questionnements des lecteurs ?

2)      Quelle place les éléments de la nature occupent-ils dans cet extrait ?

3)      Comment se manifestent la tension et la violence dans le texte ?

Analyses comparées,  du roman à la BD

1)      Après avoir étudié les extraits du roman et de la BD, établissez pour chacun d’eux une liste de ce qu’ils ont en commun et de ce qui les distingue.

2)      Quelles remarques pouvez-vous faire sur les choix opérés par Emmanuel Reuzé dans sa transposition de l’œuvre de Didier Daeninckx ?

 

La question de l’altérité : comment envisager l’autre ?

Cannibale de Didier Daeninckx est un roman intéressant dans la mesure où il permet d’évoquer la manière dont de nombreux européens, dans les années 30, se représentaient le « sauvage », cet « autre » de l’extrême lointain. Pétris de certitudes, imbus d’eux-mêmes, condescendants et méprisants, leurs points de vue sont le résultat d’une culture dont les valeurs ont nourri ces préjugés racistes. Or cette façon d’envisager l’ «  indigène » n’était pas partagée par tous les occidentaux. Nous allons ainsi vous faire découvrir des textes qui, loin de dénigrer le « sauvage », amènent justement à réfléchir à la manière dont les occidentaux conçoivent leurs rapports aux autres.

Exposition coloniale, Paris, 1931

Exposition coloniale, Paris, 1931

TEXTE 1

Cet appel des artistes surréalistes a été publié sous forme de tract un peu avant l’inauguration de l’Exposition coloniale à Paris en 1931. Ce texte polémique exprime avec véhémence le dégout des surréalistes envers la politique coloniale de la France à l’époque et leur rejet de cette exposition qu’ils considèrent comme une honteuse mascarade.

Ne visitez pas l’exposition coloniale

« A la veille du 1er mai 1931 et à l’avant veille de l’inauguration de l’ Exposition coloniale, l’étudiant indo-chinois Tao est enlevé par la police française. Chiappe, pour l’atteindre, utilise le faux et la lettre anonyme. On apprend, au bout du temps nécessaire à parer à toute agitation, que cette arrestation, donnée pour préventive, n’est que le prélude d’un refoulement sur l’Indo-Chine *. Le crime de Tao ? Etre membre du parti communiste, lequel n’est aucunement un parti illégal en France, et s’être permis jadis de manifester devant l’Elysée contre l’exécution de quarante Annamites. L’opinion mondiale s’est ému en vain du sort des deux condamnés à mort Sacco et Vanzetti. Tao, livré à l’arbitraire de la justice militaire et de la justice des mandarins, nous n’avons plus aucune garantie pour sa vie. Ce joli lever de rideau était bien celui qu’il fallait en 1931, à l’exposition de Vincennes.

L’idée du brigandage colonial (le mot était brillant et à peine assez fort), cette idée, qui date du XIXème siècle, est de celles qui n’ont pas fait leur chemin. On s’est servi de l’argent qu’on avait en trop pour envoyer en Afrique, en Asie, des navires, des pelles, des pioches, grâce auxquels il y a enfin, là-bas, de quoi travailler pour un salaire et, cet argent, on le représente volontiers comme un don fait aux indigènes. Il est donc naturel, prétend-on, que le travail de ces millions de nouveaux esclaves nous ait donné les monceaux d’or qui sont en réserve dans les caves de la Banque de France. Mais que le travail forcé – ou libre – préside à cet échange monstrueux, que des hommes dont les moeurs, ce que nous essayons d’en apprendre à travers des témoignages rarement désintéressés, des hommes qu’il est permis de tenir pour moins pervertis que nous et c’est peu dire, peut-être pour éclairés comme nous ne le sommes plus sur les fins véritables de l’espèce humaine, du savoir, de l’amour et du bonheur humains, que ces hommes dont nous distingue ne serait-ce que notre qualité de Blancs, nous qui disons « hommes de couleurs », nous hommes sans couleur, aient été tenus, par la seule puissance de la métallurgie européenne, en 1914, de se faire crever la peau pour un très bas monument funéraire collectif – c’était d’ailleurs, si nous ne nous trompons pas, une idée française, cela répondait à un calcul français – voilà qui nous permet d’inaugurer, nous aussi, à notre manière, l’Exposition coloniale et de tenir tous les zélateurs de cette entreprise pour des rapaces. Les Lyautey, les Dumesnil, les Doumer, qui tiennent le haut du pavé aujourd’hui dans cette même France du Moulin-Rouge n’en sont plus à un carnaval de squelettes près. On a pu lire il y a quelques jours, dans Paris, une affiche non lacérée dans laquelle Jacques Doriot était présenté comme le responsable des massacres d’ Indo-Chine. Non lacérée.

Le dogme de l’intégrité du territoire national invoqué pour donner à ces massacres une justification morale, est basé sur un jeu de mots insuffisant pour faire oublier qu’il n’est pas de semaine où l’on ne tue aux colonies. La présence sur l’estrade inaugurale de l’Exposition Coloniale du Président de la République, de l’Empereur d’Annam, du Cardinal Archevêque de Paris et de plusieurs gouverneurs et soudards, en face du pavillon des missionnaires, de ceux de Citroën et Renault, exprime clairement la complicité de la bourgeoisie tout entière dans la naissance du concept nouveau et particulièrement intolérable : la « Grande France ». C’est pour implanter ce concept-escroquerie que l’on a bâti les pavillons de l’Exposition de Vincennes. Il s’agit de donner aux citoyens de la métropole la conscience de propriétaires qu’il leur faudra pour entendre sans broncher l’écho des fusillades lointaines. Il s’agit d’annexer au fin paysage de France, déjà très relevé avant-guerre par une chanson sur la cabane-bambou, une perspective de minarets et de pagodes. A propos, on n’a pas oublié la belle affiche de recrutement de l’armée coloniale : une vie facile, des négresses à gros nénés, le sous-officier très élégant dans son complet de toile se promène en pousse-pousse, traîné par l’homme du pays – l’aventure, l’avancement.

Rien n’est d’ailleurs épargné pour la publicité : un souverain indigène en personne viendra battre la grosse caisse à la porte de ces palais en carton pâte. La foire est internationale, et voilà comment le fait colonial, fait européen comme disait le discours d’ouverture, devient fait acquis. N’en déplaise au scandaleux Parti Socialiste et à la jésuitique Ligue des Droits de l’Homme, il serait un peu fort que nous distinguions entre la bonne et la mauvaise façon de coloniser. Les pionniers de la défense nationale en régime capitaliste, l’immonde Boncour en tête, peuvent être fiers du Luna-Park de Vincennes. Tous ceux qui se refusent à être jamais les défenseurs des patries bourgeoises sauront opposer à leur goût des fêtes et de l’exploitation l’attitude de Lénine qui, le premier au début de ce siècle, a reconnu dans les peuples coloniaux, les alliés du prolétariat mondial.

Aux discours et aux exécutions capitales, répondez en exigeant l’évacuation immédiate des colonies et la mise en accusation des généraux et fonctionnaires responsables des massacres d’Annam, du Liban, du Maroc et de l’Afrique centrale. »

Signataires :

Breton, André (1896-1966)
Eluard, Paul (1895-1952)
Péret, Benjamin (1899-1959)
Sadoul, Georges (1904-1967)
Aragon Louis
Char René
Tanguy Yves
Unik Pierre
Thirion André
Crevel René
Alexandre Maxime
Malkine George

* Nous avons cru devoir refuser, pour ce manifeste, les signatures de nos camarades étrangers

Questions

1)      De quoi est-il question dans le premier paragraphe ?

2)      Pour quelles raisons les auteurs de ce tract ont-ils choisi d’évoquer cette affaire au début de leur document ?

3)      Comment comprenez-vous l’expression « brigandage colonial » au début du deuxième paragraphe ?

4)      Par quels exemples les auteurs illustrent-ils cette expression ?

5)      Qu’est-ce que rejettent les signataires du texte à partir du troisième paragraphe ?

6)      Justifiez le titre de ce tract.

 

TEXTE 2

Jean de Léry, Histoire d’un voyage en la terre du Brésil, 1578.

Ce récit a été publié vingt ans après le voyage de l’auteur au Brésil, où il a été envoyé par Jean Calvin afin de vivre auprès des indiens Tupinambas. Dans un passage qui précède cet extrait, il a évoqué avec beaucoup de précision des scènes d’anthropophagie. Cela l’amène à évoquer la question de la sauvagerie.

Je pourrais encore amener quelques autres semblables exemples, touchant la cruauté des sauvages envers leurs ennemis, si ce n’était, il me semble, que ce que j’en ai dit est assez pour faire horreur et dresser à chacun les cheveux sur la tête. Néanmoins, afin que ceux qui liront ces choses tant horribles, exercées journellement entre ces nations barbares du Brésil, pensent aussi un peu de près à ce qui se fait par deçà (1) parmi nous, je dirai en premier lieu sur cette matière, que si on considère à bon escient ce que font nos gros usuriers (2) (suçant le sang et la moelle, et par conséquent mangeant tout vivants, tant de veuves, orphelins et autres pauvres personnes auxquels il vaudrait mieux couper la gorge tout d’un coup que de les faire languir), on dira qu’ils sont encore plus cruels que les sauvages dont je parle. Voilà aussi pourquoi le Prophète dit que de telles gens écorchent la peau, mangent la chair, rompent et brisent les os du peuple de Dieu, comme s’ils les faisaient bouillir dans une chaudière. Davantage (3), si on veut venir à l’action brutale de mâcher et de manger réellement (comme on parle) la chair humaine, ne s’en est-il point trouvé en ces régions de par deçà, voire même entre ceux qui portent le titre de chrétiens, tant en Italie qu’ailleurs qui, ne s’étant pas contenté d’avoir fait cruellement mourir leurs ennemis, n’ont pu rassasier leur courage sinon en mangeant de leur foie et de leur cœur ? Je m’en rapporte aux histoires. Et sans aller plus loin, en la France, quoi (4) ? (Je suis français et me fâche de le dire.) Durant la sanglante tragédie qui commença à Paris le 24 août 1572 (5) dont je n’accuse point ceux qui n’en sont pas cause, entre autres actes horribles à raconter qui se perpétrèrent alors par tout le royaume, la graisse des corps humains (qui d’une façon plus barbare et cruelle que celle des sauvages, furent massacrés dans Lyon, après être retirés de la rivière de Saône) ne fut-elle pas vendue publiquement au plus offrant et dernier enchérisseur ? Les foies, cœurs et autres parties des corps de quelques-uns ne furent-ils pas mangés par les furieux meurtriers dont les Enfers ont horreur ? […]

Il y a encore des milliers de personnes en vie qui témoigneront de ces choses non jamais auparavant ouïes entre peuples quels qu’ils soient, et les livres qui depuis longtemps en sont déjà imprimés en feront foi à la postérité. Tellement que non sans cause, quelqu’un duquel je proteste de ne savoir le nom, après cette exécrable boucherie du peuple français, reconnaissant qu’elle surpassait toutes celles dont on avait jamais ouï parler, pour l’exagérer fit ces vers suivants :

Riez Pharaon

Achab et Néron

Hérodes (6) aussi

Votre barbarie

Est ensevelie

Par ce fait ici.

Par quoi, qu’on n’abhorre (7) plus tant désormais la cruauté des sauvages anthropophages, c’est-à-dire mangeurs d’hommes ! Car, puisqu’il y en a de tels, voire d’autant plus exécrables et pires au milieu de nous, qu’eux qui, comme il a été vu, ne se ruent que sur les nations qui leur sont ennemies, (et celles-ci se sont plongées au sang de leurs parents, voisins et compatriotes), il ne faut pas aller si loin qu’en leur pays, ni qu’en Amérique pour voir choses si monstrueuses et prodigieuses.

(1)   Du côté européen de l’Atlantique. (2) Prêteurs d’argent. (3) De plus. (4) Qu’est-il arrivé ? (5) Date du massacre de la Saint-Barthélemy. (6) Noms de souverains cruels. (7) Qu’on ne déteste plus.

 

Questions

1)      Quel champ lexical domine dans ce texte ?

2)      Quelle est la thèse de l’auteur ?

3)      Repérez les différents exemples que Jean de Léry utilise afin de soutenir sa thèse.

4 réponses
  1. avatar
    rouanet dit :

    Bonsoir Monsieur
    Ma nièce aéré absente pour cause de santé(leucemie) une partie de l année le texte cannibale qui va de « la tejrre a giclé devant mes pieds « jusqu à » Ce serait le plus sur moyen de ne rien faire « figure sur la liste de textes à présenter mais aucun de ses camarade n est en mesure de lui founir la lecture analytique …
    Ou pourrions nous trouver des expLications?
    bien cordialement
    Merci

  2. avatar
    fatima dit :

    Bonjour,
    Serait-il possible d’avoir le corrigé des questions car j’ai la fille de mon amie qui prépare un bac en candidat libre l’an prochain et elle souhaiterai présenter cette oeuvre pour son examen.
    Merci d’avance

  3. avatar
    Jacobs dit :

    Bonjour,

    Ma fille est en train de préparer son BAC français en candidat libre, pour « Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours », elle souhaite présenter « Cannibale »
    En faisant ses recherches elle est tombée sur votre travail, que nous trouvons remarquable
    Serait-il possible d’avoir les corrigés des questions relatives aux lectures analytiques proposées.

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