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Dom Juan, oeuvre intégrale, analyses

« Ah ! n’allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons seulement à ce qui peut nous donner du plaisir. » Acte I, scène 3.

 

I)                   Un personnage de légende

Dom Juan incarne depuis maintenant quatre siècles la figure du séducteur absolu, toujours en quête de plaisir et n’hésitant pas pour cela à bousculer les codes sociaux, moraux et religieux. Mythique, le nom de ce personnage est entré dans le langage commun pour désigner ces hommes qui, toujours mus par le désir de jouir et jamais rassasiés, courent de femme en femme. Férocement égoïste,  Dom Juan n’a peur de rien ni de personne, rebelle à toute forme d’autorité et de contrainte, il est, pour reprendre une expression de Victor Hugo, « une force qui va ». Au XVIIème siècle, il est ce qu’on appelle un « libertin » (nous verrons de quoi il s’agit dans la suite de la présentation). Dom Juan a traversé le temps et l’espace, on le retrouve partout et il a inspiré les projets artistiques les plus divers : théâtre, opéra, poésie, chanson, cinéma, peinture se sont emparés du personnage. Son succès tient au fait qu’il n’a cessé de fasciner par ses aventures et son comportement détonant. Mais voyons maintenant quelles sont les origines de ce personnage.

Fragonard, Dom Juan et la statue du Commandeur, 1830

Fragonard, Dom Juan et la statue du Commandeur, 1830

 

II)                La naissance du mythe

Molière a emprunté son personnage à un auteur espagnol du nom de Tirso de Molina qui, en 1630, a écrit une pièce s’intitulant El Burlador de Sevilla y Convidado de piedra ( Le Trompeur de Séville et le Convive de pierre). Tirso de Molina se serait lui-même inspiré d’un fait divers datant du XIVéme siècle où un jeune débauché du nom de Don Juan Tenorio aurait tué le père d’une jeune fille qu’il avait séduite. Les moines du couvent où reposait la dépouille de la victime l’auraient vengée en tuant Dom Juan et en faisant disparaitre son corps. Et c’est là que le fait divers touche au mythe : les religieux auraient affirmé que Dom Juan avait été foudroyé par le Ciel et entraîné aux enfers afin de payer pour ses fautes. A partir de là, le personnage de Dom Juan devient très populaire en Espagne et le théâtre du mythe et l’amplifie. L’histoire passe ensuite en Italie, où on attribue mille et trois conquêtes féminines à Dom Juan, pour arriver en France où Molière, en 1665, va reprendre les aventures du personnage espagnol dans des conditions particulières.

Portrait de Molière

Portrait de Molière

 

III)             Le Dom Juan de Molière

Après l’interdiction de sa pièce Tartuffe en 1664, Molière connaît de graves difficultés financières. Il lui faut à tout prix une nouvelle pièce pour renflouer les caisses de sa compagnie. Il choisit alors de s’emparer du personnage populaire de Dom Juan et de le présenter dans une série d’épisodes jusqu’à sa fin tragique. Molière écrit la pièce en quelques mois et la présente pour la première fois au public le 15 Février 1665 sous le titre Le Festin de pierre. C’est l’occasion pour le public français de découvrir ce « grand seigneur méchant homme » selon la formule de Sganarelle, un personnage haut en couleurs dont les tribulations permettent à Molière d’évoquer des thèmes qui lui sont chers : l’infidélité, l’hypocrisie, les rapports sociaux, le pouvoir de l’argent etc. La pièce connaît alors un succès certain avant d’être retirée de l’affiche le 20 Mars 1665. On pense que l’auteur a dû subir des pressions le contraignant à ne plus présenter son œuvre, considérée comme trop osée, dans sa version originale. Elle ne sera rejouée en l’état qu’en 1841.

 

IV)             Dom Juan après Molière, quelques exemples

Le mythe de Dom Juan conquiert l’Europe entière et ses adaptations sont  nombreuses et variées. Mozart en fait un opéra en italien, Don Giovanni, présenté en 1787. Au XIXème siècle, Johann Strauss, compositeur autrichien, fait du célèbre séducteur le héros de son poème symphonique Don Juan (1888). En France, le poète Charles Baudelaire évoque la figure légendaire dans son célèbre poème Don Juan aux enfers, du recueil Les Fleurs du Mal (1857). Représentée au théâtre à partir de 1841, la pièce n’a cessé d’être jouée jusqu’à nos jours. Les adaptations filmiques, plus ou moins inspirées par les aventures du héros, se sont succédé tout au long du XXème siècle.

Affiche du film de Joseph Losey, adaptation de Don Giovanni de Mozart, 1977

Affiche du film de Joseph Losey, adaptation de Don Giovanni de Mozart, 1977

 

V)                Dom Juan, une figure du libertinage

Le mot « libertin » apparaît deux fois dans le texte, dans la bouche de Sganarelle : « … les libertins ne font jamais une bonne fin… » et « … il y a de certains petits impertinents dans le monde, qui sont libertins sans savoir pourquoi, qui font les esprits forts, parce qu’ils croient que cela leur sied bien, et si j’avais un maître comme cela… ». Les propos du valet font ici référence à l’attitude de certaines personnes qui, au XVIIème siècle en France, rejettent la morale catholique dominante. Considérés comme des « libres penseurs », ils choquent leurs contemporains par leur esprit critique et leur refus de se soumettre aux règles morales, sociales et religieuses de leur époque. En cela, le comportement de Dom Juan dans la pièce peut être qualifié de libertin dans le sens où, rebelle à toute autorité, il n’adopte pas l’attitude d’un « honnête homme » (modèle de l’époque). Infidèle, il déteste le mariage. Résolument hypocrite, il n’adhère pas aux valeurs traditionnelles et ne respecte pas son père. Impie, il ne redoute pas Dieu. Bref, le héros de Molière est un dangereux marginal qui, selon les codes de l’époque, ne pouvait survivre à ses provocations.

 

VI)             Le rapport maître/valet

L’autre personnage important de l’œuvre est Sganarelle, le valet de Dom Juan. A la fois valet traditionnel et personnage complexe, c’est lui qui, constamment, sert de médiateur entre son maître et les autres personnages de l’œuvre. Sa position, inconfortable, l’amène à vouloir atteindre une certaine autonomie par rapport à un maître qu’il sert, qu’il craint, qu’il critique.

 

 

a)      La figure du valet traditionnel

Dom Juan et Sganarelle, adaptation filmique de Marcel Bluwal, 1965

Dom Juan et Sganarelle, adaptation filmique de Marcel Bluwal, 1965

Dans son comportement et ses préoccupations, Sganarelle incarne la figure traditionnelle du valet et ses défauts participent au comique de l’œuvre. Peureux, il se cache souvent pour échapper au danger, ce qui ne l’empêche pas de jouer au beau parleur prétentieux quand son maître n’est pas là. Il reçoit des coups et il est franchement ridicule dans certaines situations. Son attrait pour l’argent illustre la cupidité du valet traditionnel.  Qu’il soit de geste, de mots ou de situation, le comique caractérise le personnage de Sganarelle. Cependant, derrière ce rôle convenu, le serviteur remplit une fonction plus élaborée.

 

b)      Un personnage complexe

Intermédiaire entre son maître et les autres personnages de la pièce, il balance sans cesse entre deux mondes antagonistes. A plusieurs reprises il tente de convaincre (maladroitement) Dom Juan de corriger son comportement. Il se fait alors le porte-parole d’une société dans laquelle il faut respecter des règles. Malheureusement pour lui, il est incapable de formuler correctement son message. Dans le même temps, il est du côté du « grand seigneur, méchant homme » lorsqu’il imite celui-ci et le seconde pour échapper à certaines menaces. Il y a chez lui un mélange de répulsion et d’attraction pour Dom Juan.  Surtout,  le Sganarelle de Dom Juan est resté célèbre dans l’histoire du théâtre dans la mesure où c’est la première fois qu’un valet prend la parole pour contester l’attitude de son maître. Certes, il doit son autonomie au bon vouloir de Dom Juan (qui fait preuve ici d’une largesse d’esprit propre aux libertins), mais sa tentative d’opposition au seigneur est inouïe à l’époque. Cette tentative de tenir tête au maître est cependant condamnée à l’échec. En effet, un valet de comédie au XVIIème siècle ne peut soutenir une argumentation  étayée face à un adversaire cultivé dont la rhétorique est plus solide.

 

Extraits étudiés

 

Texte 1  Acte I, scène 1   Le portrait d’un monstre

Sganarelle
Je n’ai pas grande peine à le comprendre, moi ; et si tu connaissais le pèlerin (1), tu trouverais la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu’il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n’en ai point de certitude encore : tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m’a point entretenu ; mais, par précaution, je t’apprends, inter nos (2), que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d’Epicure (3), en vrai Sardanapale (4), qui ferme l’oreille à toutes les remontrances chrétiennes qu’on lui peut faire, et traite de billevesées (5) tout ce que nous croyons. Tu me dis qu’il a épousé ta maîtresse : crois qu’il aurait plus fait pour sa passion, et qu’avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne se sert point d’autres pièges pour attraper les belles, et c’est un épouseur à toutes mains (6). Dame, demoiselle (7), bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disais le nom de toutes celles qu’il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours ; ce n’est là qu’une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d’autres coups de pinceau. Suffit qu’il faut que le courroux du Ciel l’accable quelque jour ; qu’il me vaudrait bien mieux d’être au diable que d’être à lui, et qu’il me fait voir tant d’horreurs, que je souhaiterais qu’il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose ; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j’en aie : la crainte en moi fait l’office du zèle (8), bride mes sentiments, et me réduit d’applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste. Le voilà qui vient se promener dans ce palais : séparons-nous. Écoute au moins : je t’ai fait cette confidence avec franchise, et cela m’est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s’il fallait qu’il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti.

(1)   On appelle de manière figurée pèlerin tout homme rusé et adroit. (2) Entre nous. (3) Sganarelle fait l’étalage d’une culture qu’il maîtrise mal. Il fait ainsi d’Epicure, philosophe grec qui prônait la maîtrise du plaisir pour accéder au bonheur, un débauché ! (4) Nom d’un souverain synonyme de débauché. (5) Sottises. (6) Un homme prêt à épouser n’importe qui. (7) Femme et fille d’origine noble. (8) Dévouement excessif.

 

Questions

1)      Quel portrait Sganarelle fait-il de son maître ? Justifiez votre réponse.

2)       De quelles figures de style use-t-il pour dépeindre Dom Juan ?

3)      Dans quelle mesure cette réplique révèle-t-elle la personnalité de Sganarelle ?

 

Texte 2  Acte III, scène 1   Paroles de mécréant

DOM JUAN: Et quels remèdes encore leur as-tu ordonnés?

SGANARELLE: Ma foi! Monsieur, j’en ai pris par où j’en ai pu attraper; j’ai fait mes ordonnances à l’aventure, et ce serait une chose plaisante si les malades guérissaient, et qu’on m’en vînt remercier.

DOM JUAN: Et pourquoi non? Par quelle raison n’aurais-tu pas les mêmes privilèges qu’ont tous les autres médecins? Ils n’ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace (1). Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès, et tu peux profiter comme eux du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard et des forces de la nature.

SGANARELLE: Comment, Monsieur, vous êtes aussi impie en médecine?

DOM JUAN: C’est une des grandes erreurs qui soient parmi les hommes.

SGANARELLE: Quoi? vous ne croyez pas au séné (2), ni à la casse(3), ni au vin émétique(4)?

DOM JUAN: Et pourquoi veux-tu que j’y croie?

SGANARELLE: Vous avez l’âme bien mécréante. Cependant vous voyez, depuis un temps, que le vin émétique fait bruire ses fuseaux (5). Ses miracles ont converti les plus incrédules esprits, et il n’y a pas trois semaines que j’en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux.

DOM JUAN: Et quel?

SGANARELLE: Il y avait un homme qui, depuis six jours, était à l’agonie; on ne savait plus que lui ordonner, et tous les remèdes ne faisaient rien; on s’avisa à la fin de lui donner de l’émétique.

DOM JUAN: Il réchappa, n’est-ce pas?

SGANARELLE: Non, il mourut.

DOM JUAN: L’effet est admirable.

SGANARELLE: Comment? il y avait six jours entiers qu’il ne pouvait mourir, et cela le fit mourir tout d’un coup. Voulez-vous rien de plus efficace?

DOM JUAN: Tu as raison.

SGANARELLE: Mais laissons là la médecine, où vous ne croyez point, et parlons des autres choses; car cet habit me donne de l’esprit, et je me sens en humeur de disputer (6) contre vous. Vous savez bien que vous me permettez les disputes, et que vous ne me défendez que les remontrances.

DOM JUAN: Eh bien?

SGANARELLE: Je veux savoir un peu vos pensées à fond. Est-il possible que vous ne croyiez point du tout au Ciel?

DOM JUAN: Laissons cela.

SGANARELLE: C’est-à-dire que non. Et à l’Enfer?

DOM JUAN: Eh!

SGANARELLE: Tout de même (7). Et au diable, s’il vous plaît?

DOM JUAN: Oui, oui.

SGANARELLE: Aussi peu. Ne croyez-vous point l’autre vie?

DOM JUAN: Ah! ah! ah!

SGANARELLE: Voilà un homme que j’aurai bien de la peine à convertir. Et dites-moi un peu, le Moine-Bourru (8), qu’en croyez-vous, eh !

DOM JUAN: La peste soit du fat !

SGANARELLE: Et voilà ce que je ne puis souffrir, car il n’y a rien de plus vrai que le Moine-Bourru, et je me ferais pendre pour celui-là. Mais encore faut-il croire quelque chose dans le monde : qu’est-ce que vous croyez ?
DOM JUAN: Ce que je crois?

SGANARELLE: Oui.

DOM JUAN: Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.

(1)   Tromperie. (2) Laxatif venant d’Ethiopie. (3) Pulpe d’une plante tropicale servant à purger. (4) Purgatif violent. (5) Faire du bruit. (6) Débattre. (7) Exactement de la même façon. (8) Dans la superstition il s’agit d’un lutin qui court dans les rues aux alentours des fêtes de Noël et qui pousse des cris effroyables.

 

Questions

1)      Quel métier est critiqué au début de l’extrait ? Qu’est-ce qui lui est reproché ?

2)      Pour quelle raison l’argumentation de Sganarelle ne fonctionne-t-elle pas ?

3)      Comment pourriez-vous qualifier l’attitude de Dom Juan lorsque Sganarelle lui parle de religion ? Justifiez votre réponse.

 

Texte 3  Acte III, scène 5   L’homme au cœur de marbre

SGANARELLE: Monsieur, n’allez point là.

DOM JUAN: Pourquoi?

SGANARELLE: Cela n’est pas civil (1), d’aller voir un homme que vous avez tué.

DOM JUAN: Au contraire, c’est une visite dont je lui veux faire civilité, et qu’il doit recevoir de bonne grâce, s’il est galant homme (2). Allons, entrons dedans.
Le tombeau s’ouvre, où l’on voit un superbe mausolée et la statue du Commandeur.

SGANARELLE: Ah! que cela est beau! Les belles statues! le beau Marbre! les beaux piliers! Ah! que cela est beau! Qu’en dites-vous, Monsieur?

DOM JUAN: Qu’on ne peut voir aller plus loin l’ambition d’un homme mort; et ce que je trouve admirable, c’est qu’un homme qui s’est passé (3), durant sa vie, d’une assez simple demeure, en veuille avoir une si magnifique pour quand il n’en a plus que faire.

SGANARELLE: Voici la statue du Commandeur.

DOM JUAN: Parbleu! le voilà bon (4), avec son habit d’empereur romain!

SGANARELLE: Ma foi, Monsieur, voilà qui est bien fait. Il semble qu’il est en vie, et qu’il s’en va parler. Il jette des regards sur nous qui me feraient peur, si j’étais tout seul, et je pense qu’il ne prend pas plaisir de nous voir.

DOM JUAN: Il aurait tort, et ce serait mal recevoir l’honneur que je lui fais. Demande-lui s’il veut venir souper(5) avec moi.

SGANARELLE: C’est une chose dont il n’a pas besoin, je crois.

DOM JUAN: Demande-lui, te dis-je.

SGANARELLE: Vous moquez-vous? Ce serait être fou que d’aller parler à une statue.

DOM JUAN: Fais ce que je te dis.

SGANARELLE: Quelle bizarrerie! Seigneur Commandeur. Je ris de ma sottise, mais c’est mon maître qui me la fait faire. Seigneur Commandeur, mon maître Dom Juan vous demande si vous voulez lui faire l’honneur de venir souper avec lui. La statue baisse la tête. Ha!

DOM JUAN: Qu’est-ce? qu’as-tu? Dis donc, veux-tu parler?

SGANARELLE fait le même signe que lui a fait la statue et baisse la tête. La statue…

DOM JUAN: Eh bien! que veux-tu dire, traître?

SGANARELLE: Je vous dis que la statue.

DOM JUAN: Eh bien! la statue? Je t’assomme, si tu ne parles.

SGANARELLE: La statue m’a fait signe.

DOM JUAN: La peste le coquin!

SGANARELLE: Elle m’a fait signe, vous dis-je: il n’est rien de plus vrai. Allez-vous-en lui parler vous-même pour voir. Peut-être.

DOM JUAN: Viens, maraud, viens, je te veux bien faire toucher au doigt ta poltronnerie. Prends garde. Le seigneur Commandeur voudrait-il venir souper avec moi?
La statue baisse encore la tête.

SGANARELLE: Je ne voudrais pas en tenir dix pistoles (6). Eh bien! Monsieur?

DOM JUAN: Allons, sortons d’ici.

SGANARELLE: Voilà de mes esprits forts (7), qui ne veulent rien croire.

(1)   Poli. (2) Homme de bonne éducation. (3) Qui s’est contenté. (4) Beau. (5) Dîner. (6) « J’avais bien raison ». (7) Libertins.

 

Questions

1)      Définissez l’attitude de Dom Juan face à la statue du Commandeur ?

2)      Que critique-t-il ?

3)      Dans quelle mesure cette scène est-elle surnaturelle ?

4)      Comment réagit Dom Juan face à cette étrange manifestation ?

 

Texte 4  Acte V, scène 2   Profession : hypocrite

 

DOM JUAN: Il n’y a plus de honte maintenant à cela: l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée; et quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement; mais l’hypocrisie est un vice privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque (1) un, se les jette tous sur les bras; et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés (2), ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres; ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j’en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants hommes du monde? On a beau savoir leurs intrigues et les connaître pour ce qu’ils sont, ils ne laissent pas pour cela d’être en crédit parmi les gens; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié (3), et deux roulements d’yeux rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent faire. C’est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes; mais j’aurai soin de me cacher et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale (4), et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin c’est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi. Dès qu’une fois on m’aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts du Ciel, et, sous ce prétexte commode, je pousserai (5) mes ennemis, je les accuserai d’impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets (6), qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle.

(1)   Offense. (2) Touchés par la grâce. (3) Qui exprime le repentir. (4) La cabale tout entière défendra mes intérêts. (5) Je repousserai. (6) Qui manquent d’intelligence.

Questions

1)      Relevez le lexique de la dissimulation dans cette tirade. Pour quelles raison Dom Juan choisit-il l’hypocrisie ?

2)      Dans quelle mesure ce texte est-il une critique des rapports sociaux de l’époque ?

 

Charles Baudelaire

Charles Baudelaire

Documents

Texte 1

Dom Juan aux Enfers, Les Fleurs du Mal. 1857.

 

Quand Don Juan descendit vers l’onde souterraine
Et lorsqu’il eut donné son obole à Charon (1),
Un sombre mendiant, l’œil fier comme Antisthène (2),
D’un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.

 

Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,
Derrière lui traînaient un long mugissement.

 

Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant
Montrait à tous les morts errant sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.

 

Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,
Près de l’époux perfide et qui fut son amant,
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.

 

Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre
Se tenait à la barre et coupait le flot noir ;
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière (3),
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.

 

Charles Baudelaire

(1)   Personnage de la mythologie grecque qui fait passer les fleuves des Enfers aux personnes décédées après paiement (obole). (2) Philosophe grec fondateur de l’école cynique qui professe la liberté et le rejet des conventions sociales. (3) Longue épée.

Dom Juan, paru dans le journal Gil Blas, 1893, dessin de Balluriau

Dom Juan, paru dans le journal Gil Blas, 1893, dessin de Balluriau

 

Questions

1)      Quels sont les personnages de l’œuvre de Molière présents dans ce poème ? Définissez leur attitude.

2)      Comment Dom Juan se comporte-t-il ? Justifiez votre réponse.

Georges Brassens

Georges Brassens

 

Texte 2

Dom Juan, chanson. 1976.

Gloire à qui freine à mort, de peur d’écrabouiller
Le hérisson perdu, le crapaud fourvoyé
Et gloire à don Juan, d’avoir un jour souri
A celle à qui les autres n’attachaient aucun prix
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Gloire au flic qui barrait le passage aux autos
Pour laisser traverser les chats de Léautaud (1)
Et gloire à don Juan d’avoir pris rendez-vous
Avec la délaissée, que l’amour désavoue
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Gloire au premier venu qui passe et qui se tait
Quand la canaille crie haro sur le baudet (2)
Et gloire à don Juan pour ses galants discours
A celle à qui les autres faisaient jamais la cour
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Et gloire à ce curé sauvant son ennemi
Lors du massacre de la Saint-Barthélémy
Et gloire à don Juan qui couvrit de baisers
La fille que les autres refusaient d’embrasser
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Et gloire à ce soldat qui jeta son fusil
Plutôt que d’achever l’otage à sa merci
Et gloire à don Juan d’avoir osé trousser
Celle dont le jupon restait toujours baissé
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Gloire à la bonne soeur qui, par temps pas très chaud
Dégela dans sa main le pénis du manchot
Et gloire à don Juan qui fit reluire un soir
Ce cul déshérité ne sachant que s’asseoir
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

Gloire à qui n’ayant pas d’idéal sacro-saint
Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins
Et gloire à don Juan qui rendit femme celle
Qui, sans lui, quelle horreur, serait morte pucelle
Cette fille est trop vilaine, il me la faut

 

Georges Brassens

(1)   Paul Léautaud, écrivain français. Anecdote véridique. (2) Se manifester avec colère.

 

 

 

 

Questions

1)      Comment comprenez-vous la présence de l’anaphore « Gloire à » présente dans chaque quatrain ?

2)      Qu’est-ce qui est glorifié ?

3)      Quel sens donnez-vous au vers « Cette fille est trop vilaine, il me la faut » ?

4)      On a parfois qualifié les chansons de Georges Brassens de libertines. Que pouvez-vous dire de celle-ci ?

Une étude de document iconographique

Don Juan, Zerlina et Donna Elvira d’Alexandre Evariste Fragonard. Vers 1830.

Amateur d’opéra et de théâtre, Fragonard transpose dans cette œuvre une scène de Don Giovanni de Mozart. Il s’agit du moment où Donna Elvira, qui a été délaissée par Dom Juan, intervient afin d’empêcher le terrible séducteur de corrompre une jeune paysanne du nom de Zerlina.

Analyse du tableau de FRAGONARD

 

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