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D’Ésope à La Fontaine : fables et réécritures

Dans le cadre d’une séquence sur les réécritures nous avons choisi de vous présenter des exemples de réappropriation littéraire qui ont connu un succès certain. Il s’agira en effet de voir comment Jean de La Fontaine, le « fabuleux » fabuliste du XVIIème siècle, s’est inspiré de son antique confrère Esope pour créer une œuvre  tout à fait originale.  Pour ce faire nous avons retenu quinze fables d’Esope « reprises » par La Fontaine plus de vingt-cinq siècles plus tard. Parmi ces réécritures, trois ont retenu notre attention dans le Livre VI du fabuliste français. Il s’agit  de : Le Loup et la Cigogne, Le Villageois et le Serpent, Le Chien qui lâche la proie pour l’ombre. Si vous désirez en savoir plus sur le genre de l’apologue et le travail de réécriture, nous vous proposons de consulter deux séquences dédiées à ces formes littéraires particulières sur le site du lycée Do Kamo.  Ces séquences ont pour titre L’Apologue et Ecrire et réécrire.

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Quelques mots d’Esope

On sait peu de choses au sujet de celui qui a inspiré, tant à travers le monde qu’à travers les siècles, de nombreux auteurs. Selon l’historien grec Hérodote, Esope aurait vécu au VIIème siècle avant J.C et son existence aurait été des plus aventureuses. Esclave affranchi, il aurait effectué de nombreux voyages entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Bègue et bossu, il se serait distingué de ses contemporains par son intelligence vive et ses talents de conteur qui faisaient de lui un homme écouté. Emissaire du roi phrygien Crésus auprès des puissances environnantes, il serait mort à Delphes, exécuté après avoir dénoncé les fraudes commises par les prêtres de ce lieu de culte. Esope reste dans l’histoire de la littérature mondiale comme étant le premier auteur à voir son nom associé à la rédaction de fables,  qui jusqu’à lui s’étaient transmises par le biais de la tradition orale.

Esope et le Renard, coupe attique, Musée National Etrusque, Rome

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Au sujet de Jean de La Fontaine

Celui qu’on a souvent appelé familièrement « le bonhomme », afin de souligner une certaine tendance à la nonchalance et à la rêverie, était aussi un observateur impitoyable de la société de son époque. Si dès 1659 dans, son Epitaphe, il déclare qu’il avait fait deux parts dans sa vie : « L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire », il suffit de comparer ses fables avec celles de son illustre prédécesseur Esope pour se rendre compte de la complexité du travail accompli par La Fontaine. S’il était « lunaire » dans le quotidien, ses œuvres illustrent à merveille ses capacités d’observation.

Hyacinthe Rigaud, Portrait de La Fontaine, 1690

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Témoignages de contemporains

Dans ses Historiettes le mémorialiste et poète Tallemant des Réaux raconte cette anecdote au sujet de Jean de La Fontaine : « Son père, qui est maître des eaux et forêts de Château-Thierry en Champagne, étant à Paris pour un procès, lui dit : « Tiens, va vite faire telle chose, cela presse. » La Fontaine sort, et n’est pas plutôt hors du logis, qu’il oublie ce que son père lui avait dit. Il rencontre de ses camarades, qui lui ayant demandé s’il n’avait point d’affaires : « Non », leur dit-il, et alla à la comédie avec eux. Une autre fois, venant à Paris, il attacha à l’arçon de sa selle un gros sac de papiers importants. Le sac était mal attaché et tomba. L’ordinaire (le coursier) passe, ramasse le sac, et ayant trouvé La Fontaine, il lui demande s’il n’avait rien perdu. Ce garçon regarde de tous les côtés : « Non, se dit-il, je n’ai rien perdu». _ Voilà un sac que j’ai trouvé, lui dit l’autre. _ Ah ! c’est mon sac ! s’écrie La Fontaine; il y va de tout mon bien. » Il le porta entre ses bras jusqu’au gîte. »

Madame de Bouillon, amie et protectrice du fabuliste, partant pour Versailles, remarque La Fontaine qui rêvassait sous un arbre. A son retour, elle le retrouva « au même endroit, dans la même attitude, quoiqu’il fît très froid, et qu’il n’eût cessé de pleuvoir toute la journée ».

La Fontaine, vu par Vigneul Marville, connaissance du fabuliste : «  Nous l’attirâmes dans un petit coin de la ville, à une maison consacrée aux Muses, où nous donnâmes un repas, pour avoir le plaisir de jouir de son agréable entretien. […] Il mangea comme quatre et but de même. Le repas fini, on commença à souhaiter qu’il parlât ; mais il s’endormit. Après trois quarts d’heure de sommeil il revint à lui. […] Il était allé je ne sais où, et peut-être alors animait-il une grenouille dans les marais, ou une cigale dans les prés, ou un renard dans sa tanière ; car durant tout le temps que La Fontaine demeura avec nous, il ne nous sembla être qu’une machine sans âme. On le jeta dans un carrosse, où nous lui dîmes adieu pour toujours. »

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Jean de La Fontaine avait pris soin de composer son épitaphe :

Jean s’en alla comme il était venu,

Mangeant son fonds après son revenu,

Et crut les biens chose peu nécessaire,

Quant à son temps, bien sut le dispenser ;

Deux parts en fit, dont il voulait passer,

L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire.

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Question

A partir de ces documents, tentez de définir les principaux traits de caractère de La Fontaine.

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La Fontaine évoque son œuvre

« Quintilien dit qu’on ne saurait trop égayer les Narrations. Il ne s’agit pas ici d’en apporter une raison ; c’est assez que Quintilien l’ait dit. J’ai pourtant considéré que, ces Fables étant sues de tout le monde, je ne ferais rien si je ne les rendais nouvelles par quelques traits qui en relevassent le goût. C’est ce qu’on demande aujourd’hui : on veut de la nouveauté et de la gaieté. Je n’appelle pas gaieté ce qui excite le rire ; mais un certain charme, un air agréable qu’on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux. »

« Mon imitation n’est point un esclavage. »

« Je me sers d’animaux pour instruire les hommes. »

 

« Je tâche d’y tourner (dans les fables) le vice en ridicule,

Ne pouvant l’attaquer avec les bras d’Hercule.

[…]

J’oppose quelques fois, par une double image,

Le vice à la vertu, la sottise au bon sens. »

« Une morale nue apporte de l’ennui :

Le conte fait passer le précepte avec lui.

En ces sortes de feinte, il faut instruire et plaire

Et conter pour conter me semble peu d’affaire. »

Question

A partir de ces citations, définissez quelles sont , selon La Fontaine, les qualités primordiales d’une fable.

 

Document 1

Du Loup et de la Grue

Un Loup s’étant enfoncé par hasard un os dans la gorge, promit une récompense à la Grue, si elle voulait avec son bec retirer cet os, dont il se sentait incommodé. Après qu’elle lui eut rendu ce bon office, elle lui demanda le salaire dont ils étaient convenus. Mais le Loup avec un rire moqueur et grinçant les dents : » Contentez-vous, lui dit-il, d’avoir retiré votre tête saine et sauve de la gueule du Loup, et de n’avoir pas éprouvé à vos dépens combien ses dents sont aiguës. »

Esope

 

Le Loup et la Cigogne

Les Loups mangent gloutonnement.
Un Loup donc étant de frairie
Se pressa, dit-on, tellement
Qu’il en pensa perdre la vie :
Un os lui demeura bien avant au gosier.
De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvait crier,
Près de là passe une Cigogne.
Il lui fait signe ; elle accourt.
Voilà l’Opératrice aussitôt en besogne.
Elle retira l’os ; puis, pour un si bon tour,
Elle demanda son salaire.
« Votre salaire ? dit le Loup :
Vous riez, ma bonne commère !
Quoi ? ce n’est pas encor beaucoup
D’avoir de mon gosier retiré votre cou ?
Allez, vous êtes une ingrate :
Ne tombez jamais sous ma patte.  »

Jean de La Fontaine

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Le Loup et la Cigogne. Analyse.

Cette fable de Jean de La Fontaine, reprise d’Esope, est un bel exemple de réappropriation littéraire. En effet, elle présente l’intérêt d’illustrer le travail d’enrichissement que le fabuliste a apporté à partir d’une mouture initiale. Nous verrons dans un premier temps les points communs entre les deux productions, puis dans un second temps ce qui fait l’originalité de la réécriture de La Fontaine.

 

I)                   Les éléments repris

a)      Des personnages similaires

S’il y a bien des différences entre une Grue et une Cigogne, force est de constater que La Fontaine est resté fidèle au couple initial : un loup et un oiseau au bec proéminent         . Surtout, ce sont les caractères propres à chaque personnage qui ont été respectés ; à savoir un loup incarnant l’ingratitude (six derniers vers) et un oiseau naïf, mal récompensé de son action. La morale, implicite, est ainsi commune aux deux fables.

 

b)      Une situation identique

Le loup de La Fontaine est dans la même situation critique que celui d’Esope. Les cinq premiers vers de la fable mettent l’accent sur son incapacité à pouvoir s’en sortir. L’attitude de l’oiseau est identique à celle du texte-source : la cigogne vient sortir le loup d’un mauvais pas.

 

c)      Le respect du schéma narratif

La Fontaine a organisé la structure narrative de sa fable en suivant scrupuleusement les différentes étapes jalonnant la fable d’Esope, à savoir :

_  Une situation initiale : le loup est piégé (v1/v6)

_ Un élément perturbateur : l’intervention de la cigogne (v7/v8)

_ Les péripéties : la cigogne au travail (v9/v10) et la demande de rétribution (v11)

_ La situation finale : le refus et la menace du loup (derniers vers)

A ce titre on remarque que, comme Esope, La Fontaine fait parler le loup (style direct), seul animal à intervenir de vive voix dans la fable.

 

II)                 Une réécriture originale

a)      De la prose à la poésie

C’est là une des caractéristiques du travail de La Fontaine : la reformulation en vers d’un texte en prose. Pour cette fable, il a opté pour une alternance d’octosyllabes et d’alexandrins. Cela donne un rythme, un souffle au texte, et une musicalité portée par l’usage de rimes qui font chanter la fable (voir le travail sur les rimes croisées et les rimes suivies).

 

b)      Une narration modulée

L’utilisation des vers permet à La Fontaine de donner un rythme particulier au déroulement narratif de sa fable. Ainsi on peut remarquer qu’à deux temps forts du texte il use de l’alexandrin pour développer plus amplement l’action. Ainsi les vers 5 et 6 (l’épisode de l’os coincé dans la gorge du loup) et les vers 9 et 10 (quand la cigogne intervient) bénéficient-ils d’un traitement particulier. Cette alternance (alexandrins/octosyllabes) permet à l’auteur de jouer sur le tempo de l’action. Ainsi La Fontaine utilise aussi l’ellipse  qui précipite le rythme (vers 8 « Il lui fait signe, elle accourt »). L’utilisation d’une ponctuation expressive dans le discours du loup permet là encore de rendre la scène plus vivante ( !, ?).

 

c)      Le personnage du loup

Si le loup de La Fontaine revêt les mêmes caractéristiques que celui d’Esope, on peut quand même remarquer que le fabuliste français en fait un portrait encore plus critique. Sur 17 vers, 13 sont consacrés au loup. Il est bien le personnage principal de l’œuvre. Surtout La Fontaine insiste fortement sur la voracité de l’animal, en généralisant, dès le premier vers, le comportement du prédateur : « Les Loups mangent gloutonnement ». A partir de là se développe tout un lexique ayant trait à l’ingestion : « mangent, gloutonnement, frairie, os, gosier». Ensuite, toute la fin du texte est consacrée aux commentaires du Loup, ce qui permet de saisir son caractère à travers ses propos. Il est grossier et brutal (voir les insultes comme « commère » ou « une ingrate », menaçant (voir l’impératif de la mise en garde) et de mauvaise foi (car c’est en fait lui l’ingrat).

 

Cette fable est intéressante dans le sens où, tout en offrant  un modèle de réécriture possible, elle jette un éclairage cru sur le comportement de certains d’entre-nous, d’entre-loups.

 

Marc Chagall, Le Loup et la Cigogne, 1926-1928

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Document 2

Le Laboureur et le Serpent

Un Laboureur trouva dans la neige une Couleuvre transie de froid ; il l’emporta dans son logis et la mit auprès du feu. Mais quand elle se sentit réchauffée, et qu’elle eut repris ses forces, elle se mit à répandre son venin par toute la maison. Le Laboureur irrité d’une ingratitude si noire, lui fit de grands reproches, et ajoutant l’effet aux menaces, il prit une cognée pour couper en mille morceaux le Serpent ingrat qui rendait le mal pour le bien, et qui voulait ôter la vie à son bienfaiteur.

Esope

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Le Laboureur et le Serpent

Esope conte qu’un Manant,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d’Hiver se promenant
A l’entour de son héritage,
Aperçut un Serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
N’ayant pas à vivre un quart d’heure.
Le Villageois le prend, l’emporte en sa demeure,
Et sans considérer quel sera le loyer
D’une action de ce mérite,
Il l’étend le long du foyer,
Le réchauffe, le ressuscite.
L’Animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l’âme lui revient avec que la colère.
Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt,
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur et son père.
Ingrat, dit le Manant, voilà donc mon salaire ?
Tu mourras. À ces mots, plein de juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la Bête,
Il fait trois Serpents de deux coups,
Un tronçon, la queue, et la tête.
L’insecte sautillant, cherche à se réunir,
Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d’être charitable ;
Mais envers qui ? C’est là le point.
Quant aux ingrats, il n’en est point
Qui ne meure enfin misérable.

Jean de La Fontaine

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Le Laboureur et le Serpent. Analyse.

Cette fable qui met en scène une aventure particulière conduisant le lecteur à une réflexion d’ordre plus général, illustre une forme traditionnelle de ce type d’apologue. Nous verrons que tout en reprenant la fable d’Esope,  elle se distingue du texte source et offre au lecteur un récit riche en images et en actions.

 

I)                   Les éléments repris

a)      Une réécriture revendiquée

Ce qui saute aux yeux, dès le premier vers, c’est la référence directe à l’auteur grec de la fable, au présent de narration : « Esope raconte ». La Fontaine reprend la voie, la voix, de l’illustre ancêtre. Il n’hésite pas à citer ses sources et s’inscrit dans un travail de réappropriation littéraire assumé.

 

b)      Fidélité à la ligne narrative

A partir de cette référence inaugurale, La Fontaine va, selon son habitude de fabuliste reprenant scrupuleusement l’agencement narratif du texte de référence, organiser son histoire sur une trame convenue. La situation initiale (v1 à v4) : elle présente le personnage (un Manant)          , situe l’action dans l’espace (l’entour de son héritage) et le temps (un jour d’hiver).  L’élément perturbateur (v5 à v7) : la découverte du serpent. Ces deux étapes de l’action sont contenues dans une phrase. Les péripéties : elles sont nombreuses et s’organisent par paliers. D’abord, des vers 8 à 12 nous assistons au sauvetage de l’animal : a) le paysan l’emmène chez lui, b) il le place près du feu, c) l’animal se réveille. Là encore tout tient en une phrase. Ensuite, et conformément au texte de l’auteur grec, l’attitude hostile du serpent amène le Villageois à le menacer avant de le tuer en le découpant en morceaux à partir du vers 13 et jusqu’à la situation finale du récit anecdotique.

 

c)      Une leçon commune

Si elle est implicite chez Esope et explicite chez La Fontaine, la morale que le lecteur doit retenir de cette histoire est la même. En effet, apporter son aide à autrui peut se retourner contre celui qui s’est laissé aller à la compassion. L’ingratitude, attitude évoquée par deux fois par chacun des auteurs, peut être le lot de la bonne action du « bienfaiteur » (le terme revient là aussi chez Esope et chez La Fontaine).

 

II)                 Un récit original

a)      Une fable en deux parties distinctes

Dans sa forme, que nous pouvons aujourd’hui qualifier de classique, la fable de La Fontaine se distingue de celle de son prédécesseur par le fait qu’il a choisi de bien séparer le récit anecdotique (24 vers) de la morale finale (un quatrain). Cette morale explicite délivre un message déjà contenu dans le récit. La redondance permet à l’auteur de souligner l’importance du précepte qu’il souhaite faire passer et lui donne une portée générale, comme une conduite de vie : mieux vaut être sage avant que d’être charitable.

 

b)      Un récit anecdotique développé

Cette « extension » du récit anecdotique illustre parfaitement le travail d’enrichissement littéraire que La Fontaine a accompli. C’est là que réside sa liberté d’auteur et son talent. Une liberté et un talent qui consistent à donner de la chair à un apologue original où l’accent est avant tout mis sur le déroulement narratif porteur d’instruction, mais où toute recherche stylistique est absente. Par exemple, là où dans la fable d’Esope le Laboureur découvre « une couleuvre transie de froid », La Fontaine insiste par le biais d’une énumération frappante qui dramatise la situation : « Transi, gelé, perclus, immobile rendu / N’ayant pas à vivre un quart d’heure ». De même on suit, par étapes graduelles, la progression du retour à la vie de l’animal : « Il l’étend le long du foyer / Le réchauffe, le ressuscite. »  L’usage de l’adverbe « puis » répété trois fois (v15 et v16) met l’accent sur la menace grandissante que représente le serpent, menace d’ailleurs perceptible par la récurrence d’allitérations en « S » qui, par un par un phénomène d’harmonie imitative, font entendre le sinistre sifflement (v15 à v18) : « … et puis siffle aussitôt / puis tâche à faire un saut / Contre son bienfaiteur, son sauveur et son père / voilà donc mon salaire ». Le recours au discours direct et au pronom personnel « vous » (v18, v19 et v20) fait du lecteur un témoin privilégié de cette scène spectaculaire. Quant à la fragmentation du serpent, elle se fait sur le mode chiffré de la découpe, comme l’octosyllabe du vers 22 est découpé en trois parties clairement identifiables : « Un tronçon (3) / la queue (2) / et la tête (3) ».

 

c)      Des choix rythmiques efficaces

Alternant octosyllabes et alexandrins, la fable de la Fontaine organise le rythme de l’action en périodes plus ou moins rapides, d’accélérations en ralentissements. Ainsi les quatre premiers vers de la fable s’enchaînent sur le rythme de l’octosyllabe : la cadence est soutenue, la présentation des faits rapide et efficace. C’est alors que le serpent apparaît. « L’élément perturbateur », en personnage important qu’il est, mérite bien l’alexandrin (v5 et v6). Alexandrin qu’on retrouve au « cœur » du texte, du vers 13 au vers 20, là où la tension dramatique est la plus aiguë et nécessite donc un plus long développement. Le retour ensuite de l’octosyllabe permet de clore le récit sobrement. La morale, quant à elle, bien séparée du corps du texte, s’organise en vers réguliers harmonieusement « balancés » pour mieux asséner le message à faire passer (8 / 4 et  4 / 4 et 4/ 8).

Cette fable classique est intéressante du fait qu’elle offre un exemple probant de réécriture à partir d’un texte source dont l’auteur français s’est inspiré pour lui donner un souffle particulier.

W. Aractinguy, Le Villageois et le Serpent, 1989

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Document 3

Du Chien et de son Image

Un Chien traversant une rivière sur une planche, tenait dans sa gueule un morceau de chair, que la lumière du Soleil fit paraître plus gros dans l’eau, comme c’est l’ordinaire. Son avidité le poussa à vouloir prendre ce qu’il voyait, et il lâcha ce qu’il portait, pour courir après cette ombre. C’est ainsi que sa gourmandise fut trompée, et il apprit à ses dépens qu’il vaut mieux conserver ce que l’on possède, que de courir après ce qu’on n’a pas.

Esope

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Le Chien lâchant sa proie pour l’ombre

Chacun se trompe ici-bas :
On voit courir après l’ombre
Tant de fous qu’on n’en sait pas
La plupart du temps le nombre.
Au Chien dont parle Ésope il faut les renvoyer.
Ce Chien, voyant sa proie en l’eau représentée,
La quitta pour l’image, et pensa se noyer.
La rivière devint tout d’un coup agitée ;
À toute peine il regagna les bords,
Et n’eut ni l’ombre ni le corps.

Jean de La Fontaine

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Le Chien lâchant sa proie pour l’ombre. Analyse.

 

La fable que nous allons étudier est l’une des plus courtes écrite par La Fontaine. En ce sens elle se rapproche beaucoup, de par sa concision, du modèle antique… sans pour autant le plagier! Nous verrons dans quelle mesure la fable classique s’inspire du texte initial, pour ensuite évoquer ce qui fait sa spécificité.

 

I) Esope comme modèle

Première similitude avec Esope, nous l’avons dit, la fable de La Fontaine est d’une briéveté remarquable pour cet auteur (4 phrases en 10 vers pour sa fable, 5 phrases pour celle d’Esope). Surtout La Fontaine fait directement référence au maître grec au vers 5. A l’instar d’autres de ses fables il assume sa réécriture et cite sa source pour nous y « renvoyer ». Nous verrons d’ailleurs que ce renvoi explicite permet à La Fontaine une grande liberté d’écriture. Le cadre et le personnage du récit sont identiques, tout comme les tribulations du Chien et la morale qu’il faut tirer de sa mésaventure. Ainsi le Chien est-il victime dans les deux textes de son aveuglement et son empressement nous amène à réfléchir. Convoitise et tentation sont à réprimer sous peine de grâves désillusions.

 

II) Des différences d’agencement

La première différence tient à la forme du texte de La Fontaine. Il s’agit d’un dizain où se succèdent heptasyllabes, alexandrins et décasyllabes et où alternent rimes croisées et suivies. La morale, explicite dans les deux fables, vient clore le texte grec alors qu’elle inaugure celui du fabuliste français. En fait il s’agit moins d’une morale que d’un constat (quatrain d’heptasyllabes) qu’il va ensuite illustrer par un récit anecdotique développé plus longuement en quatre alexandrins.

 

III) Des choix narratifs divergents

Force est de constater que les deux auteurs se distinguent dans leur manière d’évoquer les péripéties de l’histoire. Autant Esope apporte un grand nombre de détails (le Chien sur une planche, dans sa bouche un morceau de chair, l’effet d’optique résultant du jeu du soleil dans l’eau), autant La Fontaine est beaucoup plus évasif. En effet il ne s’attarde pas à préciser ni le cadre exact ni les circonstances de l’action. De manière elliptique, il ne fait mention que de proie et d’ombre (voir le titre). En revanche, quand Esope laisse le sort du Chien en suspens (meurt-il?), La Fontaine ne l’assigne pas à un sort funeste ( vers 7, 8 et 9) mais insiste plutôt sur le résultat fracassant du plongeon (voir le lexique du mouvement).

 

IV) Quelles leçons retenir ?

Esope insiste sur « l’avidité » et la « gourmandise » du Chien, qui voit trop « gros ». Sa morale est explicite et sonne comme une sentence : « … il vaut mieux conserver ce que l’on possède, que de courir après ce qu’on n’a pas ». En revanche chez La Fontaine, les motifs qui ont amené son personnage à l’échec sont éludés, l’accent étant surtout mis sur sa triste situation (4 derniers vers). En renvoyant à Esope, La Fontaine s’affranchit du texte initial et apporte sa touche personnelle au texte.

Remarquable de par sa concision la fable de La Fontaine parvient à concilier respect du texte initial et originalité de la réécriture. C’est là le talent particulier du fabuleux fabuliste : il a su réinventer les fables.

 

 

Carte postale publicitaire, Le Chien qui lâche la proie pour l’ombre, Première moitié du XXème siècle

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Ésope, fables I à XV

 

D’un Coq et d’une Pierre précieuse   

Un Coq en grattant un fumier, y trouva par hasard une Pierre précieuse ; il la considéra pendant quelque temps, et dit avec une espèce de mépris :  » De quoi me peut servir une chose si belle et si brillante ? Elle serait bien mieux entre les mains d’un Lapidaire qui en connaîtrait le prix, et l’usage qu’il en faut faire. Mais pour moi qui n’en puis retirer aucune utilité, je préférerais un seul grain d’orge à toutes les Pierres précieuses du monde. »

 

 

D’un Loup et d’un Agneau  

Un Loup buvant à la source d’une fontaine, aperçut un Agneau qui buvait au bas du ruisseau ; il l’aborda tout en colère, et lui fit des reproches de ce qu’il avait troublé son eau. L’Agneau, pour s’excuser, lui représenta qu’il buvait au−dessous de lui, et que l’eau ne pouvait remonter vers sa source. Le Loup redoublant sa rage, dit à l’Agneau qu’il y avait plus de six mois qu’il tenait de lui de mauvais discours.  » Je n’étais pas encore né, répliqua l’Agneau. Il faut donc, repartit le Loup, que ce soit ton père ou ta mère.  » Et sans apporter d’autres raisons, il se jeta sur l’Agneau et le dévora, pour le punir (disait-il) de la mauvaise volonté et de la haine de ses parents.

 

Du Rat et de la Grenouille  

Dans le temps que la guerre était allumée entre les Grenouilles et les Rats, une Grenouille fit un Rat prisonnier, et lui promit de le traiter favorablement. Elle le chargea sur son dos pour faire le trajet d’une rivière qu’elle était obligée de passer pour rejoindre sa troupe. Mais cette perfide se voyant au milieu du trajet, fit tous ses efforts pour secouer le Rat et pour le noyer. Il se tint toujours si bien attaché à la Grenouille, qu’elle ne put jamais s’en défaire. Un oiseau de proie les voyant se débattre de la sorte, vint tout à coup fondre dessus, et les enleva pour en faire sa proie.

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Du Cerf et de la Brebis

Un Cerf accusa une Brebis devant un Loup, lui redemandant un muid de froment. Elle ne lui devait rien. Cependant le Loup la condamna à payer ce que le Cerf lui demandait ; elle promit de satisfaire et d’exécuter la sentence au jour marqué. Quand le temps du paiement fut échu, le Cerf en avertit la Brebis. Elle protesta contre la sentence, et dit qu’elle ne paierait pas, ajoutant que si elle avait promis quelque chose, ce n’était que par la seule crainte du Loup son ennemi déclaré, et qu’elle n’était nullement obligée de payer ce qu’elle ne devait pas, puisqu’elle ne l’avait promis que par force.

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Du Chien et de son Image  

Un Chien traversant une rivière sur une planche, tenait dans sa gueule un morceau de chair, que la lumière du Soleil fit paraître plus gros dans l’eau, comme c’est l’ordinaire. Son avidité le poussa à vouloir prendre ce qu’il voyait, et il lâcha ce qu’il portait, pour courir après cette ombre. C’est ainsi que sa gourmandise fut trompée, et il apprit à ses dépens qu’il vaut mieux conserver ce que l’on possède, que de courir après ce qu’on n’a pas.

 

Du Lion allant à la chasse avec d’autres bêtes  

Un Lion, un Âne et un Renard étant allés de compagnie à la chasse, prirent un Cerf et plusieurs autres bêtes. Le Lion ordonna à l’Âne de partager le butin ; il fit les parts entièrement égales, et laissa aux autres la liberté de choisir. Le Lion indigné de cette égalité, se jeta sur l’Âne et le mit en pièces. Ensuite il s’adressa au Renard, et lui dit de faire un autre partage ; mais le Renard mit tout d’un côté, ne se réservant qu’une très petite portion.  » Qui vous a appris, lui demanda le Lion, à faire un partage avec tant de sagesse ? − C’est la funeste aventure de l’Âne, lui répondit le Renard.  »

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Du Loup et de la Grue 

Un Loup s’étant enfoncé par hasard un os dans la gorge, promit une récompense à la Grue, si elle voulait avec son bec retirer cet os, dont il se sentait incommodé. Après qu’elle lui eut rendu ce bon office, elle lui demanda le salaire dont ils étaient convenus. Mais le Loup avec un rire moqueur et grinçant les dents : » Contentez-vous, lui dit-il, d’avoir retiré votre tête saine et sauve de la gueule du Loup, et de n’avoir pas éprouvé à vos dépens combien ses dents sont aiguës. »

 

Le Laboureur et le Serpent 

Un Laboureur trouva dans la neige une Couleuvre transie de froid ; il l’emporta dans son logis et la mit auprès du feu. Mais quand elle se sentit réchauffée, et qu’elle eut repris ses forces, elle se mit à répandre son venin par toute la maison. Le Laboureur irrité d’une ingratitude si noire, lui fit de grands reproches, et ajoutant l’effet aux menaces, il prit une cognée pour couper en mille morceaux le Serpent ingrat qui rendait le mal pour le bien, et qui voulait ôter la vie à son bienfaiteur.

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Du Sanglier et de l’Âne  

Un Âne ayant rencontré par hasard un Sanglier, se mit à se moquer de lui et à l’insulter ; mais le Sanglier frémissant de courroux et grinçant les dents, eut d’abord envie de le déchirer et de le mettre en pièces. Ensuite faisant aussitôt réflexion qu’un misérable Âne n’était pas digne de sa colère et de sa vengeance : » Malheureux, lui dit-il, je te punirais sévèrement de ton audace, si tu en valais la peine ; mais tu n’es pas digne de ma vengeance. Ta lâcheté te met à couvert de mes coups, et te sauve la vie.  » Après lui avoir fait ces reproches, il le laissa aller.

 

D’un Rat de Ville, et d’un Rat de Village 

Un Rat de Ville alla un jour faire visite à un Rat de campagne de ses amis, qui lui donna un repas frugal composé de racines et de noisettes. Après le repas, le Rat de Ville prit congé de son hôte, qui lui promit de l’aller voir à son tour. On le régala magnifiquement de confitures et de fromages ; mais le repas fut souvent interrompu par les valets de la maison, qui allaient et qui venaient de tous côtés, et qui causèrent de mortelles alarmes au Rat de Village ; de sorte que saisi de crainte, il dit au Rat de Ville qu’il préférait un repas frugal fait en repos et en liberté, et la pauvreté du Village, à la magnificence des Villes, et à une abondance pleine d’inquiétudes et de dangers.

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De l’Aigle et de la Corneille 

Un Aigle voulant manger une huître, ne pouvait trouver moyen, ni par force, ni par adresse, de l’arracher de son écaille. La Corneille lui conseilla de s’élancer au plus haut de l’air, et de laisser tomber l’huître sur des pierres pour la rompre. L’Aigle suivit ce conseil. La Corneille qui était demeurée en bas pour en attendre l’issue, voyant qu’il avait réussi, se jeta avidement sur le poisson qu’elle avala, ne laissant à l’Aigle que les écailles pour le prix de sa crédulité.

 

De l’Aigle et du Renard

Une Aigle et un Renard ayant fait société ensemble, convinrent, pour serrer plus étroitement les noeuds de leur amitié, de demeurer l’un auprès de l’autre. L’Aigle choisit un arbre fort élevé pour y faire son nid. Le Renard se creusa une tanière au pied de l’arbre, et il y mit ses petits. Étant un jour sorti pour aller leur chercher la proie, l’Aigle pressée de la faim vint fondre sur les petits du Renard, dont elle fit faire curée à ses Aiglons. Le Renard étant de retour, et voyant la perfidie de sa voisine, fut moins attristé du malheur de ses petits, que du désespoir d’être hors d’état d’en tirer vengeance, parce qu’il ne pouvait s’élever dans l’air pour poursuivre son ennemie. Se tenant donc à l’écart, il donnait à l’Aigle mille imprécations, ne pouvant se venger autrement de sa perfidie. Peu de temps après, quelques-uns immolèrent une chèvre, qu’ils firent brûler dans un champ voisin. L’Aigle vint fondre dessus, et enleva une partie de la victime qu’elle porta dans son nid, avec quelques charbons ardents qui y mirent le feu. Le vent venant à souffler avec impétuosité, les aiglons qui n’avaient point encore de plumes, tombèrent au pied de l’arbre. Le Renard y accourut, et les dévora tous à la vue de l’Aigle.

 

Du Corbeau et du Renard 

Un Corbeau s’était perché sur un arbre, pour manger un fromage qu’il tenait en son bec. Un Renard qui l’aperçut, fut tenté de lui enlever cette proie. Pour y réussir et pour amuser le Corbeau, il commença à le louer de la beauté de son plumage. Le Renard voyant que le Corbeau prenait goût à ses louanges :  » C’est grand dommage, poursuivit-il, que votre chant ne réponde pas à tant de rares qualités que vous avez.  » Le Corbeau voulant persuader au Renard que son chant n’était pas désagréable, se mit à chanter, et laissa tomber le fromage qu’il avait au bec. C’est ce que le Renard attendait. Il s’en saisit incontinent, et le mangea aux yeux du Corbeau, qui demeura tout honteux de sa sottise, et de s’être laissé séduire par les fausses louanges du Renard.

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Le Lion cassé de vieillesse  

Le Lion dans sa jeunesse abusant insolemment de sa force, et de l’ascendant qu’il avait sur les autres animaux, se fit plusieurs ennemis. Quand ils le virent usé et affaibli par les années, ils résolurent de concert de tirer vengeance de ses cruautés, et de lui rendre la pareille. Le Sanglier le meurtrissait avec ses défenses ; le Taureau l’attaquait avec ses cornes. Mais l’affront le plus sensible au Lion, était les coups de pied que l’Âne, le plus vil et le plus méprisable de ses ennemis, lui donnait en l’insultant.

 

De l’Âne et du Chien 

Le Chien flattait son Maître, et le Maître y répondait en le caressant de son côté. Ces caresses réciproques donnèrent de la jalousie à l’Âne, qui était maltraité et battu de tous ceux de la maison. Ne sachant quelles mesures prendre pour soulager sa misère, il s’imagina que le bonheur du Chien ne venait que des caresses qu’il faisait à son Maître, et que s’il le flattait aussi de la même sorte, on le traiterait comme le Chien, et qu’on le nourrirait de même de viandes délicates. Quelques jours après, l’Âne ayant trouvé son Maître endormi dans un fauteuil, voulut venir le flatter, et lui mit les deux pieds de devant sur les épaules, commençant à braire, pour le divertir par une mélodie si harmonieuse. Le Maître réveillé par ce bruit, appela ses Valets, qui chargèrent l’Âne de coups de bâton, pour le récompenser de sa civilité, et des caresses trop rudes qu’il avait faites à son Maître.

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La Fontaine, Fables, Livre VI

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Fable I Le Pâtre et le Lion

 Les fables ne sont pas ce qu’elles semblent être ;
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l’ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire,
Et conter pour conter me semble peu d’affaire.
C’est par cette raison qu’égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l’ornement et le trop d’étendue.
On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phèdre était si succinct qu’aucuns l’en ont blâmé;
Ésope en moins de mots s’est encore exprimé.
Mais sur tous certain Grec renchérit et se pique
D’une élégance laconique;
Il renferme toujours son conte en quatre vers ;
Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable.
L’un amène un Chasseur, l’autre un Pâtre, en sa fable.
J’ai suivi leur projet quant à l’événement,
Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voici comme à peu près Ésope le raconte.
Un Pâtre, à ses Brebis trouvant quelque mécompte,
Voulut à toute force attraper le Larron.
Il s’en va près d’un antre, et tend à l’environ
Des lacs à prendre Loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux,
Si tu fais, disait-il, ô Monarque des Dieux,
Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,
Parmi vingt Veaux je veux choisir
Le plus gras, et t’en faire offrande.
A ces mots sort de l’antre un Lion grand et fort.
Le Pâtre se tapit, et dit à demi mort :
Que l’homme ne sait guère, hélas! ce qu’il demande !
Pour trouver le Larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
Ô Monarque des Dieux, je t’ai promis un Veau :
Je te promets un boeuf si tu fais qu’il s’écarte.

C’est ainsi que l’a dit le principal auteur :
Passons à son imitateur.

 

Certain grec:  Il s’agit de Gabrias (ou Babrias, ou encore Babrius), un poète grec du IIIe siècle après J.-C. Il a remanié des textes dits « ésopiques » du IIe siècle et a écrit lui-même des fables. On ne connaissait son ouvre que par des résumés (des quatrains, d’où l’allusion de La Fontaine) établis par Ignace le Diacre, moine du IXe siècle. Une partie de son ouvre sera retrouvée au milieu du XIXe siècle.

Mécompte: La Fontaine a écrit « méconte » pour la rime. Il est vrai qu’à l’époque, on ne distinguait pas « conte » et « compte ».

Lacs : lacet à noud coulant servant de piège pour le gibier.

Monarque des dieux: Jupiter

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Fable II  Le Lion et le Chasseur

    Un fanfaron, amateur de la chasse,
    Venant de perdre un chien de bonne race,
    Qu’il soupçonnait dans le corps d’un lion,
    Vit un berger : «Enseigne-moi, de grâce,
    De mon voleur, lui dit-il, la maison,
    Que de ce pas, je me fasse raison.»
    Le berger dit : «C’est vers cette montagne.
    En lui payant de tribut un mouton
    Par chaque mois, j’erre dans la campagne
    Comme il me plaît, et je suis en repos.»
    Dans le moment qu’ils tenaient ces propos,
    Le lion sort, et vient d’un pas agile.
    Le fanfaron aussitôt d’esquiver;
   «Ô Jupiter, montre-moi quelque asile,
    S’écria-t-il, qui me puisse sauver!»

        La vraie épreuve du courage
N’est que dans le danger que l’on touche du doigt,
Tel le cherchait, dit-il, qui, changeant de langage,
        S’enfuit aussitôt qu’il le voit.

 

Fable III Phébus et Borée
Borée
 et le soleil virent un voyageur 

            Qui s’était muni par bonheur 
Contre le mauvais temps. On entrait dans l’automne, 
Quand la précaution aux voyageurs est bonne :
Il pleut, le soleil luit, et l’écharpe d’Iris
            Rend ceux qui sortent avertis 
Qu’en ces mois le manteau leur est fort nécessaire; 
Les Latins les nommaient douteux, pour cette affaire. 
Notre homme s’était donc à la pluie attendu : 
Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte. 
«Celui-ci, dit le vent, prétend avoir pourvu 
A tous les accidents; mais il n’a pas prévu
            Que je saurai souffler de sorte 
Qu’il n’est bouton qui tienne; il faudra, si je veux, 
            Que le manteau s’en aille au diable. 
L’ébattement pourrait nous en être agréable :
Vous plaît-il de l’avoir ? – Eh bien, gageons nous deux, 
            Dit Phébus, sans tant de paroles,
A qui plus tôt aura dégarni les épaules 
            Du cavalier que nous voyons. 
Commencez : je vous laisse obscurcir mes rayons.»
Il n’en fallut pas plus. Notre souffleur à gage 
Se gorge de vapeurs, s’enfle comme un ballon,
            Fait un vacarme de démon, 
Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage 
Maint toit qui n’en peut mais, fait périr maint bateau, 
            Le tout au sujet d’un manteau. 
Le cavalier eut soin d’empêcher que l’orage 
            Ne se pût engouffrer dedans; 
Cela le préserva. Le vent perdit son temps;
Plus il se tourmentait, plus l’autre tenait ferme; 
Il eut beau faire agir le collet et les plis. 
            Sitôt qu’il fut au bout du terme
            Qu’à la gageure on avait mis, 
            Le soleil dissipe la nue, 
Récrée et puis pénètre enfin le cavalier, 
            Sous son balandras  fait qu’il sue, 
            Le contraint de s’en dépouiller : 
Encor n’usa-t-il pas de toute sa puissance.

            Plus fait douceur que violence.

 

Borée : dieu des Vents du Nord, fils de l’Aurore et d’un Titan.

Iris : messagère ailée des dieux ; l’arc-en-ciel passait pour son écharpe.

Ébattement : plaisir, divertissement.

Phébus : autre nom d’Apollon, dieu des arts, de la beauté mais aussi de la lumière.

Souffleur à gage (à rapprocher de « gageure ») : qui a parié.

Au bout du terme : au bout du temps imparti au pari.

Balandras : manteau

Plus fait douceur que violence: Voir Livre deuxième : « Le Lion et le Rat » : « … Patience et longueur de temps / Font plus que force ni que rage ».

 

Fable IV Jupiter et le Métayer
Jupiter eut jadis une ferme à donner. 
Mercure en fit l’annonce, et gens se présentèrent, 
            Firent des offres, écoutèrent : 
            Ce ne fut pas sans bien tourner ; 
            L’un alléguait que l’héritage 
Était frayant et rude, et l’autre un autre si. 
            Pendant qu’ils marchandaient ainsi, 
Un d’eux, le plus hardi, mais non pas le plus sage, 
Promit d’en rendre tant, pourvu que Jupiter 
            Le laissât disposer de l’air, 
            Lui donnât saison à sa guise, 
Qu’il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bise,
            Enfin du sec et du mouillé, 
            Aussitôt qu’il aurait bâillé. 
Jupiter y consent. Contrat passé ; notre homme 
Tranche du roi des airs, pleut, vente, et fait en somme 
Un climat pour lui seul : ses plus proches voisins
Ne s’en sentaient non plus que les Américains. 
Ce fut leur avantage : ils eurent bonne année, 
            Pleine moisson, pleine vinée. 
Monsieur le Receveur fut très mal partagé.
            L’an suivant, voilà tout changé :
            Il ajuste d’une autre sorte 
            La température des cieux. 
            Son champ ne s’en trouve pas mieux; 
Celui de ses voisins fructifie et rapporte. 
Que fait-il? Il recourt au monarque des dieux, 
            Il confesse son imprudence. 
Jupiter en usa comme un maître fort doux.

            Concluons que la Providence
            Sait ce qu’il nous faut mieux que nous .

 

Mercure : dieu du Commerce et des Voyageurs chez les Romains ; il est aussi le messager des dieux (« un de ses cent métiers », comme dit La Fontaine (« Les Amours de Psyché et de Cupidon » Livre 2 ; Ouvres diverses, La Pléiade, annoté par Pierre Clarac, p. 213).

 

Frayant : de faible rentabilité.


En rendre : payer sa métairie.


Tranche du roi des airs : joue au roi des airs

 

Fable V Le Loup et la Cigogne

 Les loups mangent gloutonnement. 
            Un loup donc étant de frairie,  
            Se pressa, dit-on, tellement 
            Qu’il en pensa perdre la vie. 
Un os lui demeura bien avant au gosier.  
De bonheur pour ce loup, qui ne pouvait crier,  
            Près de là passe une cigogne.  
            Il lui fait signe; elle accourt.  
Voilà l’opératrice aussitôt en besogne.  
Elle retira l’os; puis, pour un si bon tour,  
            Elle demanda son salaire.  
            «Votre salaire? dit le loup:  
            Vous riez, ma bonne commère! 
            Quoi! Ce n’est pas encor beaucoup  
D’avoir de mon gosier retiré votre cou? 
            Allez, vous êtes une ingrate; 
            Ne tombez jamais sous ma patte.»

 

Frairie: Sorte de banquet réunissant les membres d’une même confrérie. Selon Furetière, il s’agit d’un divertissement, partie de plaisir. 

Au: Dans le. 

De bonheur: Par bonheur. 

L’opératrice: Marc Fumarolli nous dit que « l’opérateur était un charlatan se donnant à la fois pour pharmacien, médecin et rebouteux. » (« La Fontaine – Fables » ; Le Livre de Poche ; Classiques modernes ; La Pochothèque ; édition de Marc Fumaroli ; 1997, p. 840). Le terme, féminin de railleur, est ironique. 

 

Fable VI Le Cochet,  le chat et le souriceau

Un souriceau tout jeune, et qui n’avait rien vu, 
Fut presque pris au dépourvu. 
Voici comme il conta l’aventure à sa mère : 
«J’avais franchi les monts qui bornent cet État 
Et trottais comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m’ont arrêté les yeux :
L’un doux, bénin et gracieux, 
Et l’autre turbulent et plein d’inquiétude ;
Il a la voix perçante et rude, 
Sur la tête un morceau de chair, 
Une sorte de bras dont il s’élève en l’air 
Comme pour prendre sa volée, 
La queue en panache étalée;»
Or c’était un cochet dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau, 
Comme d’un animal venu de l’Amérique. 
«Il se battait,dit-il, les flancs avec ses bras, 
Faisant tel bruit et tel fracas, 
Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique, 
En ai pris la fuite de peur, 
Le maudissant de très bon coeur. 
Sans lui j’aurais fait connaissance 
Avec cet animal qui m’a semblé si doux : 
Il est velouté comme nous, 
Marqueté, longue queue, une humble contenance, 
Un modeste regard, et pourtant l’oeil luisant. 
Je le crois fort sympathisant 
Avec Messieurs les rats; car il a des oreilles 
En figure aux nôtres pareilles. 
Je l’allais aborder, quand d’un son plein d’éclat 
L’autre m’a fait prendre la fuite. 
– Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat, 
Qui, sous son minois hypocrite, 
Contre toute ta parenté 
D’un malin vouloir est porté. 
L’autre animal, tout au contraire, 
Bien éloigné de nous mal faire, 
Servira quelque jour peut-être à nos repas. 
Quant au chat, c’est sur nous qu’il fonde sa cuisine. 

Garde-toi, tant que tu vivras
De juger des gens sur la mine.»

 

Cochet: jeune coq.

Un jeune rat: Comme le remarque Pierre Clarac (Fables, commentaires de Pierre Clarac, Le Livre de Poche, n° 1198, p. 228), La Fontaine ne faisait pas de distinction entre les souris et les rats.

A se donner: carrière faire carrière dans la vie.

Plein d’agitation: plein d’inquiétude.

Marqueté: tacheté.

Doucet: doucereux.

Malin: vouloir malveillance.

Morale de la fable: A rapprocher de la morale de la fable «Le Torrent et la Rivière »  «Les gens sans bruit sont dangereux / Il n’en est pas ainsi des autres ».

 

Fable VII Le Renard, le Singe et les Animaux

Les animaux, au décès d’un lion, 
En son vivant prince de la contrée, 
Pour faire un roi s’assemblèrent, dit-on. 
De son étui la couronne est tirée : 
Dans une chartre un dragon la gardait. 
Il se trouva que, sur tous essayée, 
A pas un d’eux elle ne convenait : 
Plusieurs avaient la tête trop menue, 
Aucuns trop grosse, aucuns même cornue.
Le singe aussi fit l’épreuve en riant; 
Et par plaisir la tiare essayant, 
Il fit autour force grimaceries
Tours de souplesse, et mille singeries, 
Passa dedans ainsi qu’en un cerceau. 
Aux animaux cela sembla si beau, 
Qu’il fut élu : chacun lui fit hommage.
Le renard seul regretta son suffrage, 
Sans toutefois montrer son sentiment. 
Quand il eut fait son petit compliment, 
Il dit au roi : «Je sais, Sire, une cache, 
Et ne crois pas qu’autre que moi la sache. 
Or tout trésor, par droit de royauté, 
Appartient, Sire, à Votre Majesté.» 
Le nouveau roi bâille après la finance; 
Lui-même y court pour n’être pas trompé. 
C’était un piège : il y fut attrapé. 
Le renard dit, au nom de l’assistance : 
«Prétendrais-tu nous gouverner encor, 
Ne sachant pas te conduire toi-même?»
Il fut démis; et l’on tomba d’accord 
Qu’à peu de gens convient le diadème.

 

Chartre: ce mot désignait autrefois une prison ; il faut le comprendre ici comme étant un lieu clos, bien gardé.

Aucuns: certains

Tiare: couronne à trois étages que portait autrefois le roi de Perse et que porte encore de nos jours le pape

Grimaceries: grimaces ; mot créé par La Fontaine, faisant penser à singerie » avec lequel ce néologisme rime.

Faire hommage: rendre au suzerain les honneurs dus par un vassal.

 

Fable VIII  Le Mulet se vantant de sa généalogie

Le mulet d’un prélat se piquait de noblesse, 
            Et ne parlait incessamment
            Que de sa mère la jument, 
        Dont il contait mainte prouesse : 
Elle avait fait ceci, puis avait été là. 
            Son fils prétendait pour cela 
            Qu’on le dût mettre dans l’Histoire. 
Il eût cru s’abaisser servant  un médecin.
Étant devenu vieux, on le mit au moulin :
Son père l’âne alors lui revint en mémoire.

            Quand le malheur ne serait bon 
            Qu’à mettre un sot à la raison, 
            Toujours serait-ce à juste cause
            Qu’on le dit bon à quelque chose.

 

Incessamment: sans cesse.

Servant le gérondif n’était pas précédé de « en » à l’époque de La Fontaine.

Les médecins se rendaient chez leurs malades à dos de mule ou de mulet de selle.

A juste cause :pour une cause juste.

 

Fable IX  Le Vieillard et l’Âne

Un vieillard sur son âne aperçut en passant
            Un pré plein d’herbe et fleurissant : 
Il y lâche sa bête, et le grison  se rue 
            Au travers de l’herbe menue, 
            Se vautrant, grattant, et frottant, 
            Gambadant, chantant, et broutant, 
            Et faisant mainte  place nette. 
            L’ennemi vient sur l’entrefaite. 
            «Fuyons, dit alors le vieillard. 
            – Pourquoi? répondit le paillard :
Me fera-t-on porter double bât, double charge?
Non pas, dit le vieillard, qui prit d’abord le large. 
– Et que m’importe donc, dit l’âne, à qui je sois? 
            Sauvez-vous, et me laissez paître. 
            Notre ennemi, c’est notre maître :
            Je vous le dis en bon françois

 

Le grison: Surnom fréquemment donné à l’âne, en rapport avec la couleur de certains d’entre eux.

Mainte: beaucoup de.

Paillard: péjoratif qui couche dans la paille ou, plus généralement, qui emprunte les manières, le langage de ceux qui couchent dans la paille.

Notre ennemi, c’est notre maître: Et pourtant, La Fontaine a écrit « On ne peut trop louer trois sortes de personnes / Les Dieux, sa maîtresse et son Roi » (« Simonide préservé par les dieux », Livre premier, fable XIV).

En bon françois: Pour l’anecdote, je note que André Siegfried voit dans ces deux derniers vers le modèle du slogan « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » (dans « La Fontaine, Machiavel français Comme le remarquent René Gros et Jacques Schiffrin, l’âne ne dit guère plus que le loup dans « Le Loup et le Chien » (Livre premier, fable V) (La Fontaine – Œuvres complètes, tome I, annoté par René Gros et Jacques Schiffrin – NRF, Bibliothèque de la Pléiade – 1954 – p. 715). »). On a donc plutôt tendance aujourd’hui à ne retenir que la leçon générale de la fable et non son éventuel côté politique ou social.

 

Fable X  Le Cerf se voyant dans l’eau

Dans le cristal d’une fontaine 
Un cerf se mirant autrefois 
Louait la beauté de son bois, 
Et ne pouvait qu’avecque peine, 
Souffrir ses jambes de fuseaux, 
Dont il voyait l’objet se perdre dans les eaux. 
«Quelle proportion de mes pieds à ma tête?
Disait-il en voyant leur ombre (1) avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte; 
Mes pieds ne me font point d’honneur.»
Tout en parlant de la sorte, 
Un limier le fait partir. 
Il tâche à se garantir; 
Dans les forêts il s’emporte. 
Son bois, dommageable ornement, 
L’arrêtant à chaque moment,
Nuit à l’office (2) que lui rendent 
Ses pieds, de qui ses jours dépendent. 
Il se dédit alors, et maudit les présents 
Que le Ciel lui fait tous les ans.(3)

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l’utile; 
Et le beau souvent nous détruit 
Ce cerf blâme ses pieds, qui le rendent agile;
Il estime un bois qui lui nuit.

 

(1) Leur ombre: leur reflet.

(2) Office: service

(3) Les présents que le ciel...: Chacun sait que le bois du cerf tombe chaque année et renaît enrichi d’ un nouvel andouiller.

 

Fable XI  Le Lièvre et la Tortue

Rien ne sert de courir; il faut partir à point :
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
«Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Sitôt que moi ce but. – Sitôt? Êtes-vous sage ?
            Repartit l’animal léger :
            Ma commère, il vous faut purger
            Avec quatre grains d’ellébore.)
            – Sage ou non, je parie encore. »
            Ainsi fut fait; et de tous deux
            On mit près du but les enjeux :
            Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire,
            Ni de quel juge l’on convint.
Notre lièvre n’avait que quatre pas à faire,
J’entends de ceux qu’il fait lorsque, prêt d’être atteint,
Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,
            Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
            Pour dormir et pour écouter
        D’où vient le vent, il laisse la tortue
            Aller son train de sénateur.
            Elle part, elle s’évertue,
            Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
            Tient la gageure à peu de gloire,
            Croit qu’il y a de son honneur
        De partir tard. Il broute, il se repose,
            Il s’amuse à toute autre chose
        Qu’à la gageure. A la fin, quand il vit
Que l’autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait; mais les élans qu’il fit
Furent vains : la tortue arriva la première.
« Eh bien! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
            De quoi vous sert votre vitesse ?
            Moi l’emporter! et que serait-ce
            Si vous portiez une maison ?« 

 

Purger : ici, « se purger l’esprit ».

Ellébore (ou hellébore) : plante dont les graines avaient, disait-on, la propriété de guérir la folie. Deux grains suffisaient. Pourtant, notre lièvre double allègrement la dose… Voici quelques citations se rapportant à l’ellébore : « On ne saurait être sage sans s’être purgé le cerveau trois fois avec de l’ellébore » (« Lucien, « Les sectes des philosophes à l’ ncan », t. I, p. 265 ; « On dit proverbialement qu’un homme a besoin de deux grains d’ellébore pour dire qu’il est fou. » (Furetière) ; Molière va plus loin en faisant dire à Sosie qu’Alcmène a besoin de six grains d’ellébore (Molière, « Amphitryon », acte II, scène II, v. 940). Pour ceux qui veulent vraiment tout savoir, qu’ils sachent qu’un grain égale 5 grammes environ.

Calendes: On dit souvent : « renvoyer aux calendes grecques ». Pourtant, les calendes désignaient le premier jour du mois chez les Romains et étaient inconnues des Grecs.

à : comme valant.

Carrière : dans les courses de char, ce mot désigne la piste.

Elle crie, c’est-à-dire qu’elle est loin du lièvre…

..Si vous portiez une maison: … et elle ironise de surcroît.

 

Fable XII  L’Âne et ses Maîtres

L’âne d’un jardinier se plaignait au destin
De ce qu’on le faisait lever devant l’aurore.
« Les coqs, lui disait-il, ont beau chanter matin ;
            Je suis plus matineux encore.
Et pourquoi ? pour porter des herbes au marché.
Belle nécessité d’interrompre mon somme ! »
            Le Sort, de sa plainte touché,
Lui donne un autre maître ; et l’animal de somme
Passe du jardinier aux mains d’un corroyeur
La pesanteur des peaux, et leur mauvaise odeur
Eurent bientôt choqué l’impertinente bête.
« J’ai regret, disait-il, à  mon premier seigneur.
            Encor quand il tournait la tête,
            J’attrapais, s’il m’en souvient bien,
Quelque morceau de chou qui ne me coûtait rien.
Mais ici point d’aubaine ; ou, si j’en ai quelqu’une,
C’est de coups. » Il obtint changement de fortune,
            Et sur l’état  d’un charbonnier
            Il fut couché tout le dernier.
Autre plainte. « Quoi donc ! dit le Sort en colère,
            Ce baudet-ci m’occupe autant
            Que cent monarques pourraient faire.
Croit-il être le seul qui ne soit pas content ?
            N’ai-je en l’esprit que son affaire ? »

Le Sort avait raison ; tous gens sont ainsi faits :
Notre condition jamais ne nous contente;
            La pire est toujours la présente.
Nous fatiguons le Ciel à force de placets
Qu’à chacun Jupiter accorde sa requête,
            Nous lui romprons encor la tête

 

Porter des herbes au marché:  Le marchand d’herbes ne vendait pas que des herbes aromatiques mais aussi des légumes choux, salades,…

Corroyeur: ouvrier qui travaille le cuir.

A: de

Etat: liste du personnel de maison.

Placet:  texte écrit qu’on présentait à un personnage important afin d’ en obtenir une faveur.

Nous lui romprons encore la tête:  A mettre en parallèle avec « Jupin en a bientôt la cervelle rompue » (« Les Grenouilles qui demandent un roi ».). « Jupin » est un autre nom pour «Jupiter ».

 

Fable XIII  Le Soleil et les Grenouilles

Aux noces d’un tyran tout le peuple en liesse
            Noyait son souci dans les pots.
Ésope seul trouvait que les gens étaient sots
            De témoigner tant d’allégresse.

Le Soleil, disait-il, eut dessein autrefois
            De songer à l’hyménée.
Aussitôt on ouït, d’une commune voix,
            Se plaindre de leur destinée
            Les citoyennes des étangs.
«Que ferons-nous, s’il lui vient des enfants?
Dirent-elles au Sort: un seul Soleil à peine
Se peut souffrir. Une demi-douzaine
Mettra la mer à sec et tous ses habitants.
Adieu joncs et marais : notre race est détruite;
            Bientôt on la verra réduite
        A l’eau du Styx. » Pour un pauvre animal,
Grenouilles, à mon sens, ne raisonnaient pas mal.

 

A l’époque, le terme « tyran » ne possédait pas de connotation négative ou péjorative.

Souffrir: supporter

Styx: Mythologie grecque. Le plus grand des fleuves des Enfers dont les eaux rendaient invulnérable. Il entourait de ses eaux marécageuses le royaume des morts.

Morale: Voyez avec quelle psychologie, une telle sentence est énoncée !

 

Fable XIV  Le Villageois et le Serpent

 Esope conte qu’un manant,
            Charitable autant que peu sage,
            Un jour d’hiver se promenant
            A l’entour de son héritage,
Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
            N’ayant pas à vivre un quart d’heure.
Le villageois le prend, l’emporte en sa demeure;
Et, sans considérer quel sera le loyer
            D’une action de ce mérite,
            Il l’étend le long du foyer
Le réchauffe, le ressuscite 
L’animal engourdi sent à peine le chaud 
Que l’âme lui revient avecque la colère
Il lève un peu la tête, puis siffle aussitôt 
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père.
«Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire !
Tu mourras!» A ces mots, plein d’un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête;
            Il fait trois serpents de deux coups,
            Un tronçon, la queue et la tête.
L’insecte, sautillant, cherche à se réunir,
            Mais il ne put y parvenir.

            Il est bon d’être charitable :
            Mais envers qui ? c’est là le point.
            Quant aux ingrats, il n’en est point
            Qui ne meure enfin misérable.

 

Manant: paysan.

Héritage: propriété reçue en héritage.

Loyer: salaire.

Insecte: « On appelle aussi ‘insectes’ les animaux qui vivent après qu’ils sont coupés en plusieurs parties, comme la grenouille, les lézards, serpents, vipères » (Furetière).

l

Fable XV  Le Lion malade et le Renard

De par le roi des animaux,
            Qui dans son antre était malade,
            Fut fait savoir à ses vassaux
            Que chaque espèce en ambassade
            Envoyât gens le visiter,
            Sous promesse de bien traiter
            Les députés, eux et leur suite,
            Foi de lion, très bien écrite,
            Bon passeport contre la dent,
            Contre la griffe tout autant.
            L’édit du prince s’exécute :
            De chaque espèce on lui députe.
            Les renards gardant la maison,
            Un d’eux en dit cette raison :
            «Les pas empreints sur la poussière
Par ceux qui s’en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière;
            Pas un ne marque de retour :
            Cela nous met en méfiance.
            Que Sa Majesté nous dispense :
            Grand merci de son passeport;
            Je le crois bon; mais dans cet antre
            Je vois fort bien comme l’on entre,
            Et ne vois pas comme on en sort.»

 

On lui députe : on lui envoie des représentants.

 

Fable XVI  L’Oiseleur, l’Autour et l’Alouette

Les injustices des pervers 
            Servent souvent d’excuse aux nôtres. 
            Telle est la loi de l’univers : 
Si tu veux qu’on t’épargne, épargne aussi les autres .

Un manant au miroir prenait des oisillons.
Le fantôme brillant attire une alouette
Aussitôt un autour, planant sur les sillons,
            Descend des airs, fond et se jette 
Sur celle qui chantait, quoique près du tombeau. 
Elle avait évité la perfide machine, 
Lorsque, se rencontrant sous la main de l’oiseau, 
            Elle sent son ongle maline
Pendant qu’à la plumer l’autour est occupé, 
Lui-même sous les rets demeure enveloppé : 
«Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage; 
            Je ne t’ai jamais fait de mal.»
L’oiseleur repartit : «Ce petit animal 
            T’en avait-il fait davantage?»

 

Pervers: à prendre avec le sens général de « méchants ».

SI tu veux…: Ce vers est écrit en italiques. Il est le seul de l’ouvrage ainsi présenté. On n’en connaît pas la raison exacte. Serait-ce pour marquer l’ importance particulière que lui attribuait La Fontaine ? Le fabuliste écrira d’autre part « Il est écrit qu’à nul il ne faut faire / Ce qu’on ne veut à soi-même être fait » (Le conte des « Rémois », v. 147-148). A rapprocher du vers de Corneille « Quoi ! tu veux qu’on t’épargne, et n’as rien épargné » (« Cinna, Acte IV, scène II).

Le « miroir aux alouettes ». Son mouvement rotatif, allié aux reflets du soleil, attire les oiseaux et les hypnotise.

Oisillons: Il ne s’agit pas de jeunes oiseaux mais de petits oiseaux comestibles.

Maline:  maligne. – Le masculin pour « ongle » ne s’est pas encore imposé du temps de La Fontaine.

 

Fable XVII  Le Cheval et l’Âne

En ce monde il se faut l’un l’autre secourir :
            Si ton voisin vient à mourir,
            C’est sur toi que le fardeau tombe.

Un âne accompagnait un cheval peu courtois,
Celui-ci ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre baudet si chargé qu’il succombe.
Il pria le cheval de l’aider quelque peu :
Autrement il mourrait devant qu’être à la ville.
«La prière, dit-il, n’en est pas incivile :
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu.»
Le cheval refusa, fit une pétarade :
Tant qu’il vit sous le faix mourir son camarade,
            Et reconnut qu’il avait tort.
            Du baudet, en cette aventure,
            On lui fit porter la voiture,
            Et la peau par-dessus encor.

 

Courtois: à prendre ici dans le sens de « civil ».

Devant d’être: avant d’être.

La voiture: la charge de la voiture.

 

Fable XVIII  Le Chien qui lâche la proie pour l’ombre

Chacun se trompe ici-bas :
                On voit courir après l’ombre
                Tant de fous qu’on n’en sait pas
                La plupart du temps le nombre.
Au chien dont parle Ésope il faut les renvoyer.

Ce chien, voyant sa proie en l’eau représentée,
La quitta pour l’image, et pensa se noyer.
La rivière devint tout d’un coup agitée;
        A toute peine il regagna les bords,
            Et n’eut ni l’ombre ni le corps.

 

L’ombre : opposition avec « la réalité » ; à rapprocher de la fable: «Le Cerf se voyant dans l’eau » .

 

Fable XIX  Le Chartier embourbé

Le Phaéton d’une voiture à foin
Vit son char embourbé. Le pauvre homme était loin
De tout humain secours : c’était à la campagne
Près d’un certain canton de la basse Bretagne,
            Appelé Quimper-Corentin.
            On sait assez que le Destin
Adresse là les gens quand il veut qu’on enrage :
            Dieu nous préserve du voyage !
Pour venir au chartier embourbé dans ces lieux,
Le voilà qui déteste et jure de son mieux,
            Pestant, en sa fureur extrême,
Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
            Contre son char, contre lui même.
Il invoque à la fin le dieu dont les travaux
            Sont si célèbres dans le monde :
«Hercule, lui dit-il, aide-moi. Si ton dos
            A porté la machine ronde,
            Ton bras peut me tirer d’ici»
Sa prière étant faite, il entend dans la nue
            Une voix qui lui parle ainsi :
            «Hercule veut qu’on se remue;
Puis il aide les gens. Regarde d’où provient
            L’achoppement qui te retient;
            Ôte d’autour de chaque roue
Ce malheureux mortier, cette maudite boue
            Qui jusqu’à l’essieu les enduit;
Prends ton pic et me romps ce caillou qui te nuit;
Comble-moi cette ornière. As-tu fait ? – Oui, dit l’homme.
– Or bien je vas t’aider, dit la voix. Prends ton fouet.
– Je l’ai pris. Qu’est ceci ? mon char marche à souhait.
Hercule en soit loué !» Lors la voix :«Tu vois comme
Tes chevaux aisément se sont tirés de là.

            Aide-toi, le Ciel t’aidera

 

Phaéton: fils du Soleil ; il demanda et obtint la permission de conduire le char de son père qu’il conduisit trop près de la terre au risque de la brûler ; Jupiter le foudroya. La Fontaine utilise ce nom d’un dieu par dérision.
Quimper-Corentin ou « Quimpercorentin ». C’est à Quimper qu’ont été exilées de nombreuses personnalités de l’époque
Aide-toi..: Ce proverbe existait sous différentes formes bien avant La Fontaine. Pierre Millot dans son livre « Les Fables d’Æsope, traduites fidèlement du grec » datant de 1646 écrit « Aide-toi et Dieu t’aidera ». Jeanne d’Arc reprendra d’ailleurs ce dicton lors de son procès. Nous retrouvons ce proverbe « Aide-toi, le ciel t’aidera » dans l’« Étymologie ou explication des proverbes français » par Fleury de Bellingen en 1646. Mathurin Régnier (1573 – 1613), dans ses « Satires », XIII écrit « Aidez-vous seulement et Dieu vous aidera ».

 

Fable XX  Le Charlatan

 Le monde n’a jamais manqué de charlatans :
            Cette science, de tout temps,
            Fut en professeurs très fertile.
Tantôt l’un en théâtre affronte l’Achéron, (1)
            Et l’autre affiche par la ville
            Qu’il est un passe-Cicéron. (2)

        Un des derniers se vantait d’être
            En éloquence si grand maître,
            Qu’il rendrait disert un badaud,
            Un manant, un rustre, un lourdaud;
«Oui, Messieurs, un lourdaud, un animal, un âne :
Que l’on m’amène un âne, un âne renforcé,
            Je le rendrai maître passé,
            Et veux qu’il porte la soutane.» (3)
Le prince sut la chose; il manda le rhéteur.
            «J’ai, dit-il, en mon écurie
            Un fort beau roussin d’Arcadie; (4)
            J’en voudrais faire un orateur.
– Sire, vous pouvez tout»,reprit d’abord notre homme.
            On lui donna certaine somme :
            Il devait au bout de dix ans
            Mettre son âne sur les bancs;
Sinon il consentait d’être en place publique
Guindé (5) la hart (6) au col, étranglé court et net,
            Ayant au dos sa rhétorique,
            Et les oreilles d’un baudet.
Quelqu’un des courtisans lui dit qu’à la potence
Il voulait l’aller voir, et que, pour un pendu,
Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance;
Surtout qu’il se souvînt de faire à l’assistance
Un discours où son art fût au long étendu, (7)
Un discours pathétique, et dont le formulaire
            Servît à certains Cicérons
            Vulgairement nommés larrons.
            L’autre (8) reprit : « Avant l’affaire,
            Le roi, l’âne, ou moi, nous mourrons. »

            Il avait raison. C’est folie
            De compter sur dix ans de vie.
            Soyons bien buvants, bien mangeants :
Nous devons à la mort de trois l’un (9) en dix ans.

 

(1) Achéron : fleuve des Enfers dans la mythologie grecque.
(2) Orateur qui surpasse Cicéron.
(3) Celle des docteurs d’université.
(4) L’Arcadie produisait plutôt des ânes.
(5) Guindé : hissé.
(6) Hart : noud coulant, en osier au départ, puis en chanvre, servant à la pendaison.
(7) Etendu : exposé.
(8) Allusion ironique à certains orateurs du temps.
(9) Un sur trois.

Fable  XXI  La Discorde

 La déesse Discorde ayant brouillé les dieux,
Et fait un grand procès là-haut pour une pomme, (1)
            On la fit déloger des cieux.
            Chez l’animal qu’on appelle homme
            On la reçut à bras ouverts,
            Elle et Que-si-Que-non (2), son frère,
            Avecque Tien-et-Mien (3), son père.
Elle nous fit l’honneur en ce bas univers
            De préférer notre hémisphère
A celui des mortels qui nous sont opposés,
            Gens grossiers, peu civilisés,
Et qui, se mariant sans prêtre et sans notaire,
            De la Discorde n’ont que faire.
Pour la faire trouver aux lieux où le besoin
            Demandait qu’elle fût présente,
            La Renommée avait le soin
        De l’avertir; et l’autre, diligente,
Courait vite aux débats et prévenait (4) la Paix,
Faisait d’une étincelle un feu long à s’éteindre.
La Renommée enfin commença de se plaindre
            Que l’on ne lui trouvait jamais
            De demeure fixe et certaine;
Bien souvent l’on perdait, à la chercher, sa peine :
Il fallait donc qu’elle eût un séjour affecté,
Un séjour d’où l’on pût en toutes les familles
            L’envoyer à jour arrêté.
Comme il n’était alors aucun couvent de filles,
            On y trouva difficulté.
            L’auberge enfin de l’Hyménée
            Lui fut pour maison assignée.

 

(1) Il s’agit de la pomme jetée par la Discorde « à la plus belle ». Athéna, Héra et Aphrodite se disputeront et cette pomme et le titre. Le naïf Pâris tranchera et déclenchera la Guerre de Troie.
(2) Indique le goût de chicaner. Moquerie au sujet des disputes entre docteurs en théologie.
(3) L’instinct de propriété. Indique les chicanes entre propriétaires.
(4) Prévenait : arrivait avant.

 l

Fable XXII  La jeune Veuve

 La perte d’un époux ne va point sans soupirs ;
On fait beaucoup de bruit ; et puis on se console :
Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole,
            Le Temps ramène les plaisirs.
            Entre la veuve d’une année
            Et la veuve d’une journée
La différence est grande ; on ne croirait jamais
            Que ce fût la même personne :
L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne 
C’est toujours même note et pareil entretien ;
            On dit qu’on est inconsolable ;
            On le dit, mais il n’en est rien,
            Comme on verra par cette fable,
            Ou plutôt par la vérité.

            L’époux d’une jeune beauté
Partait pour l’autre monde. A ses côtés, sa femme
Lui criait : « Attends-moi, je te suis; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler. »
            Le mari fait seul le voyage.
La belle avait un père, homme prudent et sage ;
            Il laissa le torrent couler.
            A la fin, pour la consoler :
«Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes :
Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts.
            Je ne dis pas que tout à l’heure
            Une condition meilleure
            Change en des noces ces transports ;
Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
        Que le défunt. – Ah! dit-elle aussitôt,
            Un cloître est l’époux qu’il me faut.»
Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
            Un mois de la sorte se passe ;
L’autre mois, on l’emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure :
            Le deuil enfin sert de parure,
            En attendant d’autres atours ;
            Toute la bande des Amours
Revient au colombier ; les jeux, les ris , la danse,
            Ont aussi leur tour à la fin :
            On se plonge soir et matin
            Dans la fontaine de Jouvence.
Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais comme il ne parlait de rien à notre belle :
            «Où donc est le jeune mari
            Que vous m’avez promis?» dit-elle.

 

Aux soupirs vrais ou faux: Voir le conte de La Fontaine « La Matrone d’Ephèse » : « La douleur est toujours moins forte que la plainte : / Toujours un peu de faste entre parmi les pleurs ».

Transports : manifestations de douleur, particulièrement bruyantes.

Le deuil: La coutume consistant à marquer le décès d’un être proche par le port de vêtements sombres – porter le deuil – était très vivante à l’époque de La Fontaine. Elle subsiste encore, à des degrés divers, dans bien des régions.

Le colombier: « Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre ». – Certaines éditions écrivent « coulombier ».

Ris : rires. L’expression sera reprise par La Fontaine dans la fille (Livre VII, 5) : « Le chagrin vient ensuite : elle sent chaque jour / Déloger quelques ris, quelques jeux, puis l’amour. »

La fontaine de Jouvence avait la propriété de rajeunir ceux qui s’y baignaient. Rappelez-vous l’épisode qui voit Vénus envoyer Psyché y chercher une cruche d’eau pour ses « amies ».

 

 

 

Le Loup et la Cigogne. Analyse.

Cette fable de Jean de La Fontaine, reprise d’Esope, est un bel exemple de réappropriation littéraire. En effet, elle présente l’intérêt d’illustrer le travail d’enrichissement que le fabuliste a apporté à partir d’une mouture initiale. Nous verrons dans un premier temps les points communs entre les deux productions, puis dans un second temps ce qui fait l’originalité de la réécriture de La Fontaine.

I)                   Les éléments repris

a)      Des personnages similaires

S’il y a bien des différences entre une Grue et une Cigogne, force est de constater que La Fontaine est resté fidèle au couple initial : un loup et un oiseau au bec proéminent         . Surtout, ce sont les caractères propres à chaque personnage qui ont été respectés ; à savoir un loup incarnant l’ingratitude (six derniers vers) et un oiseau naïf, mal récompensé de son action. La morale, implicite, est ainsi commune aux deux fables.

b)      Une situation identique

Le loup de La Fontaine est dans la même situation critique que celui d’Esope. Les cinq premiers vers de la fable mettent l’accent sur son incapacité à pouvoir s’en sortir. L’attitude de l’oiseau est identique à celle du texte-source : la cigogne vient sortir le loup d’un mauvais pas.

c)      Le respect du schéma narratif

La Fontaine a organisé la structure narrative de sa fable en suivant scrupuleusement les différentes étapes jalonnant la fable d’Esope, à savoir :

_  Une situation initiale : le loup est piégé (v1/v6)

_ Un élément perturbateur : l’intervention de la cigogne (v7/v8)

_ Les péripéties : la cigogne au travail (v9/v10) et la demande de rétribution (v11)

_ La situation finale : le refus et la menace du loup (derniers vers)

A ce titre on remarque que, comme Esope, La Fontaine fait parler le loup (style direct), seul animal à intervenir de vive voix dans la fable.

 

II)                 Une réécriture originale

a)      De la prose à la poésie

C’est là une des caractéristiques du travail de La Fontaine : la reformulation en vers d’un texte en prose. Pour cette fable, il a opté pour une alternance d’octosyllabes et d’alexandrins. Cela donne un rythme, un souffle au texte, et une musicalité portée par l’usage de rimes qui font chanter la fable (voir le travail sur les rimes croisées et les rimes suivies).

b)      Une narration modulée

L’utilisation des vers permet à La Fontaine de donner un rythme particulier au déroulement narratif de sa fable. Ainsi on peut remarquer qu’à deux temps forts du texte il use de l’alexandrin pour développer plus amplement l’action. Ainsi les vers 5 et 6 (l’épisode de l’os coincé dans la gorge du loup) et les vers 9 et 10 (quand la cigogne intervient) bénéficient-ils d’un traitement particulier. Cette alternance (alexandrins/octosyllabes) permet à l’auteur de jouer sur le tempo de l’action. Ainsi La Fontaine utilise aussi l’ellipse  qui précipite le rythme (vers 8 « Il lui fait signe, elle accourt »). L’utilisation d’une ponctuation expressive dans le discours du loup permet là encore de rendre la scène plus vivante ( !, ?).

c)      Le personnage du loup

Si le loup de La Fontaine revêt les mêmes caractéristiques que celui d’Esope, on peut quand même remarquer que le fabuliste français en fait un portrait encore plus critique. Sur 17 vers, 13 sont consacrés au loup. Il est bien le personnage principal de l’œuvre. Surtout La Fontaine insiste fortement sur la voracité de l’animal, en généralisant, dès le premier vers, le comportement du prédateur : « Les Loups mangent gloutonnement ». A partir de là se développe tout un lexique ayant trait à l’ingestion : « mangent, gloutonnement, frairie, os, gosier». Ensuite, toute la fin du texte est consacrée aux commentaires du Loup, ce qui permet de saisir son caractère à travers ses propos. Il est grossier et brutal (voir les insultes comme « commère » ou « une ingrate », menaçant (voir l’impératif de la mise en garde) et de mauvaise foi (car c’est en fait lui l’ingrat).

 

Cette fable est intéressante dans le sens où, tout en offrant  un modèle de réécriture possible, elle jette un éclairage cru sur le comportement de certains d’entre-nous, d’entre-loups.

9 réponses
  1. avatar
    lugnasad dit :

    Merci à vous d’avoir effectué ce travail de recherche et de comparaison. Il me sera très utile dans le cadre d’un EPI LCA consacré aux réécritures. J’indiquerai ce site comme source.

  2. avatar
    Lionel Hottin dit :

    Chez Homère les compagnons d’Ulysse sont tous transformés en parc, alors que chez La Fontaine ce sont des animaux différents différents avec des caractères différents. Surtout, chez La Fontaine, les animaux transformés ne veulent plus redevenir des hommes. Par rapport à Esope, La Fontaine a développé beaucoup plus les personnages ; la versification apporte un rythme qui évite la sécheresse des fables d’Esope.

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