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Baroque, vous avez dit Baroque, comme c’est étrange !

Découvrons ensemble ce puissant mouvement culturel et esthétique à la charnière des XVIème et XVIIème siècles qui a parcouru toute l’Europe, jusqu’à bondir par delà les océans. Sculpture, musique, architecture, poésie, roman, théâtre, peinture : rien n’échappe à la fougue baroque, dont vous retrouverez les thèmes et les motifs à travers les œuvres présentées dans ce corpus. Et quelles œuvres ! Jetons-y un rapide coup d’œil.

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1. Un monde renversé (Théophile de Viau)
Dans son Ode XLIX extraite des Œuvres poétiques, Théophile de Viau nous offre un tableau saisissant d’un monde renversé, exemple frappant de cette esthétique du bizarre : « Le feu brûle dedans la glace/ Le Soleil est devenu noir ». Cela tourne au cauchemar.

Théophile de Viau, Œuvres poétiques, Ode XLIX (1621-1624)
Un corbeau devant moi croasse
Une ombre offusque (1) mes regards ;
Deux belettes et deux renards
Traversent l’endroit où je passe ;
Les pieds faillent (2) à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut-mal (3) ;
J’entends craqueter le tonnerre ;
Un esprit se présente à moi ;
J’ois (4) Charon (5) qui m’appelle à soi,
Je vois le centre de la terre.

Ce ruisseau remonte en sa source ;
Un bœuf gravit sur son clocher ;
Le sang coule de ce rocher ;
Un aspic (6) s’accouple d’une ourse ;
Sur le haut d’une vieille tour
Un serpent déchire un vautour ;
Le feu brûle dedans la glace ;
Le Soleil est devenu noir ;
Je vois la lune qui va choir (7) ;
Cet arbre est sorti de sa place.

Notes
(1)    Arrête.  (2) Manquent.  (3) Epilepsie. (4) J’entends.  (5) Passeur de la mythologie grecque qui conduit les âmes aux Enfers. (6) Serpent.  (7) Tomber.

2. La vie est un songe (Calderon)

Justement, que sont les rêves, qu’appelle-t-on « la réalité » ? Ainsi, voyons ce qui arrive à Sigismond, le héros de La vie est un songe, œuvre théâtrale de Pedro Calderon de la Barca. Ce n’est pas banal. Enfermé depuis sa naissance dans une tour par son père, le roi Basyle, il ne sait rien du monde. Et la seule fois où il s’y rend, on lui fait croire qu’il a rêvé… Tout ne serait alors qu’illusions…?

Pedro Calderon de la Barca, La vie est un songe. 1635.
Sigismond, le fils du roi Basyle, est enfermé depuis sa naissance dans une tour, dans l’ignorance totale du monde extérieur, pour déjouer les prédictions d’un oracle. Cependant, le roi décide de vérifier la validité de ces prophéties en faisant venir son fils à la Cour. Devant l’attitude violente du prince, Basyle met fin à l’expérience et renvoie Sigismond dans sa tour. Clothalde, son geôlier, le convainc alors qu’il a simplement rêvé ce qu’il croit avoir vécu, tout en lui reprochant de s’être livré, même en songe, à ses instincts violents. Suit ce monologue de Sigismond.

SIGISMOND
Cela est vrai. Eh bien, réprimons alors
Ce naturel sauvage,
Cette furie, cette ambition,
Au cas où nous aurions un songe de nouveau.
C’est décidé, nous agirons ainsi,
Puisque nous habitons un monde si étrange
que la vie n’est rien d’autre que songe ;
et l’expérience m’apprend
que l’homme qui vit, songe
ce qu’il est, jusqu’à son réveil.
Le Roi songe qu’il est un roi, et vivant
Dans cette illusion il commande,
Il décrète, il gouverne ;
Et cette majesté, seulement empruntée (1),
S’inscrit dans le vent,
Et la mort en cendres
le change, oh ! cruelle infortune !
Qui peut encore vouloir régner,
Quand il voit qu’il doit s’éveiller
Dans le songe de la mort ?
Le riche songe à sa richesse,
qui ne lui offre que soucis ;
le pauvre songe qu’il pâtit
de sa misère et de sa pauvreté ;
il songe, celui qui triomphe ;
il songe, celui qui s’affaire et prétend (2),
il songe, celui qui outrage et offense,
et dans ce monde, en conclusion,
tous songent ce qu’ils sont,
mais nul ne s’en rend compte.
Moi je songe que je suis ici,
chargé de ces fers (3),
et j’ai songé m’être trouvé
en un autre état plus flatteur.
Qu’est-ce que la vie ? Un délire.
Qu’est donc la vie ? Une illusion,
une ombre, une fiction ;
le plus grand bien est peu de chose,
car toute la vie n’est qu’un songe,
et les songes rien que des songes.

Notes
(1) Artificielle. (2) Est plein d’orgueil. (3) Chaînes.

3. L’Astrée (Urfé)

S’il y en a bien un qui ne s’en fait pas c’est Hylas, personnage du roman L’Astrée, d’Honoré d’Urfé. Champion de l’inconstance amoureuse il ne connaît qu’une règle : une fois qu’il a dépensé tout son amour pour une belle (car seule la beauté compte…), il en a besoin d’une autre pour se refaire une santé ! En écho, c’est le héros éponyme du Dom Juan de Molière qui vantera, lui aussi, les charmes de l’infidélité amoureuse : « Non, non : la constance n’est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer… »

Honoré d’Urfé, L’Astrée, IIIème partie, Livre7. 1607-1627.

Hylas (1) alors, s’approchant d’Alexis (2) : Je vois bien, ma maîtresse, lui dit-il, que vous ne savez pas encore de quelle sorte j’aime. Il faut que vous sachiez que je m’y gouverne tout ainsi qu’un marchand bien avisé : lorsqu’il fait dessein d’acheter quelque chose, il regarde combien elle peut valoir, et puis amasse de tous côtés l’argent qui lui est nécessaire pour égaler ce prix. J’en fais de même ; car lorsque j’entreprends d’aimer une dame, je regarde incontinent (3) quelle est sa beauté, car, comme vous savez, ce qui donne le prix aux femmes, ce n’est que la seule beauté. Et soudain, je fais un amas d’amour en mon âme, égal au prix et à la valeur qui est en elle, et lorsque j’aime, je vais dépendant (4) cet amas d’amour, et quand je l’ai tout employé au service de celle pour qui je l’avais amassé, il ne m’en reste plus pour elle. Et faut, si je veux aimer, que j’aille ailleurs chercher une nouvelle beauté pour faire un autre amas d’amour, si bien qu’en cela mon argent et mon amour se ressemblent bien fort. Je veux dire que l’un et l’autre, quand je les ai dépendus, je ne les ai plus, vous auriez donc quelques raisons de craindre, ma maîtresse, si jamais je n’avais aimé ces nouvelles bergères ; mais il ya longtemps que j’ai dépendu tout l’amas que j’avais pour leur beauté, et qu’il n’y en a plus en moi pour elles. _ Mais, mon serviteur, ajouta Alexis, les marchands qui sont riches, encore qu’ils aient une fois vidé leurs bourses, ils ne laissent de les remplir pour acheter la seconde fois ce que la première ils n’auraient pu avoir.  Or, reprit Hylas, c’est en quoi, ma maîtresse, ces riches marchands et moi ne sommes pas semblables ; car eux, par deux et trois fois, reprennent et renouent leurs marchés, voire, s’ils n’ont pas l’argent, l’empruntent sur leur crédit, mais moi, jamais plus je n’y reviens, lorsque la première fois j’ai manqué de l’acheter.

Notes
(1) Personnage de L’Astrée, type même de l’amant inconstant, que l’on retrouve dans de nombreuses pastorales du XVIIème siècle. (2) Femme courtisée par Hylas. (3) Aussitôt.  (4) Dépensant.

4. Le mépris de la vie et consolation contre la mort (Jean-Baptiste Chassignet)

Etudions maintenant un autre motif baroque ayant trait lui aussi au mouvement. Il s’agit de l’eau mouvante, métaphore « liquide » qui permet d’évoquer la question paradoxale de l’identité. Dans son poème extrait du recueil Le Mépris de la vie et consolation de la mort, écrit en 1594, Jean-Baptiste Chassignet associe le cours de la vie humaine à celui « d’une ondante rivière », à la fois immobile et changeante. Comme elle nous changeons, tout en restant assignés à une identité, qui se révèle finalement être un leurre. Toujours l’illusion !

4. Jean-Baptiste Chassignet, Le mépris de la vie et consolation contre la mort (1594)

Assieds-toi sur le bord d’une ondante (1) rivière
Tu la verras fluer (2) d’un perpétuel cours,
Et flots sur flots roulant en mille et mille tours
Décharger par les près son humide carrière.

Mais tu ne verras rien de cette onde première
Qui naguère coulait, l’eau change tous les jours,
Tous les jours elle passe, et la nommons toujours
Même fleuve, et même eau, d’une même manière.

Ainsi l’homme varie, et ne sera demain
Telle comme aujourd’hui du pauvre corps humain
La force que le temps abrévie (3), et consomme :

Le nom sans varier nous suit jusqu’au trépas (4),
Et combien qu’aujourd’hui celui ne sois-je pas
Qui vivais hier passé, toujours même on me nomme (5).

Notes
(1) Ondoyante. (2)  Couler. (3) Abrège. (4) Jusqu’à la mort. (5) Et bien qu’aujourd’hui je ne sois plus le même qu’autrefois, on me nomme toujours de la même façon.

5. Dom Juan : autre motif baroque de l’inconstance amoureuse

Molière, Dom Juan, 1665. Acte I, scène 2
Dom Juan a séduit Elvire et l’a abandonnée. Le valet Sganarelle interroge son maître sur les raisons de sa conduite.
SGANARELLE. Moi, je crois, sans vous faire tort, que vous avez quelque nouvel amour en tête. […]
DOM JUAN. Ma foi ! tu ne trompes pas, et je dois t’avouer qu’un autre objet (1) a chassé Elvire de ma pensée.
SGANARELLE. Eh ! Mon Dieu ! je sais mon Dom Juan sur le bout du doigt, et connais votre cœur pour le plus grand coureur du monde : il se plait à se promener de liens en liens, et n’aime guère à demeurer en place.
DOM JUAN. Et ne trouves-tu pas, dis-moi, que j’ai raison d’en user de la sorte ?
SGANARELLE. Eh ! Monsieur.
DOM JUAN. Quoi ? parle.
SGANARELLE. Assurément que vous avez raison, si vous le voulez ; on ne peut pas aller là contre. Mais si vous ne vouliez pas, ce serait peut-être une autre affaire.
DOM JUAN. Eh bien ! je te donne la liberté de parler et de me dire tes sentiments.
SGANARELLE. En ce cas, Monsieur, je vous dirai franchement que je n’approuve point votre méthode, et que je trouve fort vilain d’aimer de tous côtés comme vous faites.
DOM JUAN. Quoi ? tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer (2)  d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n’est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraine. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs (3) où la nature nous oblige.
Notes
(1) Une autre femme. (2) Se vanter. (3) Témoignages de passion.

6. Le rêve du chevalier (Pereda y Salgado)

Découvrons à présent un exemple du baroque en peinture en observant un tableau d’Antonio de Pereda y Sagaldo, El Sueno Del Caballero », Le rêve du chevalier, peint en 1655. Chut ! Un homme s’est endormi, un ange dévoile le contenu de son rêve : orgueils et vanités accumulées occupent son esprit enténébré. Insignes de domination, livres, partitions musicales cartes de jeu, argent, bijoux, perles… Mais deux têtes de mort, une pendule et une bougie consumée nous rappellent que tout cela n’est rien, qu’Elle nous attend, que nous passons. Ce que souligne le vers inscrit sur le bandeau : « Aesterne pungit, cito volat et occidit » pouvant être traduit par « La gloire des hauts faits doit s’envoler comme un rêve ». Désillusions !


 

 

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7. L’ange de l’Annonciation  (Francesco Mochi)

Admirons maintenant cette statue de l’artiste italien Francesco Mochi (1580-1654), L’ange de l’Annonciation, (1603-1608). Nous avons là un bel exemple de sculpture baroque où le mouvement est dynamique et l’énergie portée par des formes humaines. Tout est en volutes autour d’un tourbillon central, une force centripète happant vers l’extérieur les espaces alentours.

8. Le baldaquin de la basilique Saint-Pierre de Rome (Le Bernin)

Autre prouesse, architecturale cette fois. Nous voici sous le baldaquin de la basilique Saint-Pierre de Rome. Ces torsades monumentales en bronze, exécutées entre 1624 et 1633, sont l’œuvre de Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin (1598-1680). Elles renvoient de façon saisissante à l’origine étymologique du terme « baroque », qui vient du portugais « barocco » servant à qualifier une perle de forme irrégulière. Ces colonnes torses aux sinuosités dorées soutiennent un dôme ouvragé qui surplombe l’autel, lequel s’inscrit dans une lumineuse perspective. Le décor est spectaculaire, et c’est le but recherché. En effet, le point de départ de l’art baroque est la volonté de récupérer les chrétiens tentés par le protestantisme en les émerveillant par un art plein de mouvement célébrant le triomphe du catholicisme.

9. Galerie des Glaces (Versailles)

Ce baroque triomphal est mis au service d’un autre pouvoir, politique cette fois ci. Ainsi La galerie des glaces, au château de Versailles, devait-elle stupéfier les visiteurs et glorifier la toute puissance du roi Louis XIV. Reflétés par des dizaines de miroirs, les jardins du parc s’invitent à l’intérieur de l’édifice, créant l’illusion magique d’un décor en trompe-l’œil.

10. Marin Marais : musicien baroque

Marin Marais (31 mai 1656-15 août 1728) était violiste, (musicien jouant de la viole de gambe).

En 1679, il obtint une charge de « joueur de viole de la musique de la Chambre » dans la Musique du roi Louis XIV, poste qu’il conserva jusqu’en 1725. Entre-temps, Lully, l’intendant de la musique, lui avait confié souvent la direction de l’orchestre de l’Opéra. Marin Marais composera d’ailleurs quatre oeuvres lyriques pour l’Académie royale de musique, dont son célèbre Alcyone. Il fut le plus célèbre violiste de son temps et un farouche partisan de la musique française, aux dépens de la musique italienne. Marin Marais contribua grandement à la renommée de cet instrument.

Bref. Si vous aimez le mouvement, l’illusion, la métamorphose, l’illusion, le Baroque vous comblera. Nous espérons que ces quelques notes vous donneront envie d’en savoir plus. En avant !

6 réponses
  1. avatar
    Ss dit :

    élève d’AP je voudrai m’excuse pour le dernier commentaire ce n’était pas ce que je voulais écrire, c’était une blague entre copine. =)

  2. avatar
    DIEVART XAVIER dit :

    Très impressionné par ton article, je suis également très émue de voir ta photo sur le net, j’espère que tu vas bien et que ta petite famille aussi.
    Ici toujours pareil, aujourd’hui il fait -6° mais ça va
    Je t’avais déjà envoyé quelques mail sur le site de ton lycée, mais pas de réponse…
    Nous t’embrassons tous les 4, en espérant de tes nouvelles
    bientôt…
    Xav

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