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L’Asee veut plancher sur l’école de demain

Article des Nouvelles Calédoniennes, mercredi 26 octobre 2022

L’Alliance scolaire de l’église évangélique veut rassembler les acteurs éducatifs pour réfléchir au modèle scolaire de demain, même si l’intitulé des « Assises de l’enseignement » qu’elle organise pose problème à certains convives. Le premier des trois volets de ces assises débutera vendredi, en l’auditorium de la province Sud.

A Nouméa, le lycée Do-Kamo est le seul établissement de l'Asee situé en province Sud. L'Alliance scolaire est surtout présente en Brousse et dans les Loyauté. Photo Thierry Perron

A Nouméa, le lycée Do-Kamo est le seul établissement de l’Asee situé en province Sud. L’Alliance scolaire est surtout présente en Brousse et dans les Loyauté. Photo Thierry Perron

Luther Voudjo, directeur de l’Asee (alliance scolaire de l’église évangélique) ne veut pas éluder la situation financière critique de l’institution qu’il dirige mais veut placer le curseur sur le plan de la réflexion. « Nous sommes placés en redressement judiciaire depuis 2018 et nous avons un déficit d’image à combler auprès des parents d’élèves et des élus avant d’entamer des réformes structurelles. Nous voulons reprendre le dialogue avec l’ensemble des institutions. Ces assises vont servir à cela et à être force de proposition. »

L’alliance scolaire a en effet une dette de l’ordre d’1,3 milliard à éponger auprès de la Cafat. Malgré cette situation, Luther Voudjo souhaite que l’Asee « retrouve sa place dans le paysage éducatif local. Nous voulons expliciter notre place et être complémentaires avec les autres institutions pour trouver la meilleure solution afin de contribuer à la réussite des enfants ». C’est pour cette raison que l’Asee a convié à cette réflexion des représentants du gouvernement, du vice-rectorat, des provinces et des deux autres organisations de l’enseignement confessionnel, la Felp (Fédération de l’enseignement libre protestant) et de la Ddec (Direction diocésaine de l’enseignement catholique). Mais parmi ces institutions, l’intitulé même de ces « Assises de l’enseignement » gêne aux entournures quand cela ne pose pas carrément problème. « Ils auraient dû appeler cela les Assises de l’Asee », confie l’un d’eux, qui s’interroge encore sur sa participation. La Ddec de son côté indique ne pas avoir contribué aux travaux préparatoires à ces assises mais précise qu’elle y sera bien présente.

« C’est un enrichissement, pas une remise en cause du projet éducatif. »

Il en est tout autre pour Isabelle Champmoreau. La vice-présidente du gouvernement, en charge de l’enseignement, indique ne pas avoir prévu d’y assister. Elle considère en effet que le déroulé de l’évènement, « qui devait être à l’origine les « Assises de l’enseignement protestant » afin de traiter le caractère spécifique de l’enseignement confessionnel » a été « fixé et communiqué sans concertation. Ce programme dépasse largement les prérogatives de l’Asee ».

L’enseignement est en effet une compétence du pays, le projet éducatif de la Nouvelle-Calédonie (Penc) a fait l’objet d’un vote du Congrès après une large consultation.

« Ces assises ne sont pas une remise en cause de ce projet éducatif, d’autant que cela fait six mois que nous consultons tous les acteurs que nous avons conviés, rétorque Luther Voudjo, nous voulons contribuer à son enrichissement, d’autant que le Penc n’est pas immuable. Et puis dans le contexte institutionnel actuel, c’est aussi une manière de dresser un bilan de l’Accord de Nouméa sur sa partie éducative. Cet espace de parole peut constituer une contribution utile pour un projet de société. » Patrick Eatene, responsable du pôle de recherche et de développement de l’éducation au sein de l’Asee, appuie en assurant que cette démarche « se veut apolitique, en dehors de toute posture idéologique. Chaque entité va pouvoir apporter son expertise ». Celle que met en avant l’Asee, c’est la spécificité de la pédagogie qu’elle a développée dans ses établissements.

Luther Voudjo (à droite), directeur de l'Asee et Patrick Eatene, responsable du pôle de recherche et de développement de l'éducation. Photo Thierry Perron

Luther Voudjo (à droite), directeur de l’Asee et Patrick Eatene, responsable du pôle de recherche et de développement de l’éducation. Photo Thierry Perron

Contribution au rééquilibrage

« Lorsque l’Alliance scolaire a été créée, nos populations ne fréquentaient pas les écoles, poursuit Patrick Eatene. L’Alliance a choisi la voie de l’évangélisation pour apprendre à lire et à écrire à des populations qui n’étaient même pas des citoyens français. Nous avons donc développé des formes de pédagogie pour des populations qui étaient exclues, dans une forme de décrochage. Nous avons contribué au rééquilibrage. »

L’Asee souhaite ainsi faire part de cette expérience. « Nous mettons l’accent sur la formation de l’homme, car nous constatons que le format actuel du système français met l’accent sur une vision utilitariste et une commande économique. Former des hommes et des femmes prêts à l’emploi, ce n’est pas suffisant. Il faut apporter d’autres approches. De cette diversité d’offres éducatives, on peut faire converger les propositions pour aller vers une vision pays. »

 

Une implantation historique dans les Îles et en Brousse

L’histoire de l’Asee commence au moment de l’arrivée des premiers missionnaires océaniens protestants, originaires des Samoa, qui débarquent à Rô, à Maré en 1841, puis l’année suivante à Lifou où Fao, un catéchiste polynésien s’installe au sud de l’île. Il faut attendre 1853 pour que ces matas, ces missionnaires océaniens, s’installent à Ouvéa, puis encore dix ans plus tard pour voir l’ouverture des premiers établissements qui seront ensuite gérés par l’Alliance scolaire. L’école pastorale de Bethanie, à Xepenehe, à Lifou, sera ainsi la première d’entre elles, créée en 1862. L’objectif de ces missions était d’évangéliser et d’éduquer la jeunesse et d’améliorer les conditions de vie en tribu. En 1903, la création de Do-Neva à Houaïlou par le pasteur Maurice Leenhardt entre dans ce cadre. D’école pastorale, elle devient peu à peu un centre de formation des Kanak.

L’Asee naît en 1958, sous le statut d’association. Plusieurs écoles sont ouvertes au cours des années suivantes. Le lycée Do-Neva ouvre en 1979 et le lycée agricole Do-Neva en 1984. L’essentiel du foncier de l’Asee est mis à disposition par l’EPKNC (Église protestante de Kanaky-Nouvelle-Calédonie) qui cultive des liens étroits avec l’institution.

Un tissu familial et paroissial très présent

Parmi ces établissements, un collège se singularise : celui d’Havila, en 1974 à Wé, Lifou. « L’établissement affiche un taux de réussite au brevet de 100 % de réussite depuis plus de 30 ans », assure Luther Voudjo, qui explique ce succès par une forte implication des familles dans la vie éducative et communautaire. « Ce tissu des parents d’élèves mais aussi des paroisses fait la spécificité de l’Asee et nous permet d’aborder les questions éducatives en dehors des heures de classe. Notre but, c’est d’insérer l’enfant dans son milieu culturel d’origine pour qu’il puisse s’y épanouir. C’est comme cela qu’on n’a pas d’école vandalisée ou incendiée. Ce tissu social donne plus de savoir-être à l’enfant. » Pour autant, les responsables de l’institution assurent ne pas vouloir faire de « prosélytisme mais une éducation aux valeurs spirituelles et humaines ».

« Expertise » pour lutter contre le décrochage

En revanche, à Nouméa, « dans certains quartiers comme Montravel, Tindu ou Kaméré, les taux d’échec sont très élevés et les structures n’arrivent pas à tirer le meilleur des enfants. La réalité du décrochage est donc toujours là. C’est pour cela que dans le cadre de ces assises, nous voulons partager nos méthodes pour lutter contre le décrochage scolaire. L’Asee dispose d’une expertise dans ce domaine-là ».

L’Asee a constaté une baisse des élèves de 12 à 15 ans dans ses effectifs. En revanche, la classe d’âge des plus de 16 ans augmente. « Certains ne vont pas forcément faire de grandes études, poursuit Luther Voudjo, mais elles seront des personnes-ressources dans les tribus ou dans les quartiers, des personnes bien assises qui auront appris à dialoguer entre les savoirs traditionnels et académiques. C’est une façon d’apporter des réponses à cette jeunesse kanak. »

L’Asee comptait à la rentrée 2 200 élèves répartis dans 15 écoles primaires, 6 collèges, 2 lycées, dont un d’enseignement général – Do-Kamo à Nouméa – et un d’enseignement agricole – Do-Neva à Houaïlou – et 8 internats.

 

REPÈRES

Trois volets

Le premier volet de ces Assises se déroulera le vendredi 28 octobre, en l’auditorium de la province Sud. Il est intitulé « École pays » et veut envisager les pistes de réflexion « pour améliorer ou affiner le projet éducatif de la Nouvelle-Calédonie, afin qu’il imprègne les spécificités des différents organismes conviés« .

Le deuxième temps fort, intitulé « Quels cadres pour demain ? » se déroulera les 24 et 25 novembre à l’université de la Nouvelle-Calédonie. Les thématiques aborderont les « formations à privilégier pour former les cadres dont le futur projet de société a besoin » et le partenariat public-privé.

La dernière partie de ces assises se tiendra les 27, 28 et 29 avril 2023 et aura lieu au lycée Do Neva, à Houaïlou. Elle est intitulée « Quelle école pour quel projet de société ? » La réflexion portera sur « comment repenser l’école calédonienne pour un pays en devenir ? »

Éviter la liquidation

Isabelle Champmoreau, vice-présidente du gouvernement en charge de l’enseignement, indique que le gouvernement « poursuit son accompagnement pédagogique et financier de l’Asee pour éviter la procédure de liquidation et accompagner les équipes dans l’évaluation et l’amélioration des résultats scolaires. Dans ce cadre, le Congrès a validé une somme de 200 millions au budget primitif 2022 pour apporter un soutien complémentaire aux financements de l’État et des provinces. »

 

La phrase

« Nous voulons repenser une école qui nous ressemble et fait de nos enfants des personnes accomplies car c’est la matrice d’un futur projet de société viable. »

Luther Voudjo, directeur de l’Asee.

 

1,3 milliard.

C’est le montant de la dette de l’Asee auprès de la Cafat, raison de son placement en redressement judiciaire en 2018 pour une période de huit ans. 400 millions d’économies ont déjà été réalisées en divisant la masse salariale par deux.

Article de Pierrick Chatel LNC | Crée le 26.10.2022 à 18h50

 

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