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Olympe de Gouges, précurseur dans la défense de la cause des femmes

 « La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir le droit de monter à la tribune. » Olympe de Gouges

 

Olympe de Gouges, portrait

Présentation

Le texte que nous présentons à votre étude, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne  a été rédigé en 1791 par Olympe de Gouges sur le modèle de la  Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclamée le 26 août 1789. Ce pastiche critique a été publié dans une brochure intitulée Les droits de la femme rédigée à l’intention de la reine Marie-Antoinette. Cette Déclaration était également destinée à l’Assemblée nationale à laquelle elle devait être présentée en Octobre 1791 en vue de son adoption. Ce texte fut refusé par la Convention. Il s’agit du premier document exigeant l’égalité parfaite entre les femmes et les hommes dans les domaines de la justice et des lois, à une époque où les femmes n’avaient aucun droit (droit de vote, liberté professionnelle, droit de propriété, accès aux institutions publiques …).

L’auteure de cette Déclaration est née en 1743, dans ce Siècle des Lumières qui, sous l’impulsion d’intellectuels déterminés, a « secoué » l’ancien régime pour remettre en cause ses préjugés, ses archaïsmes, ses inégalités. Olympe de Gouges va faire sien ce combat pour la justice et l’égalité en défendant la cause des femmes, et dans le même temps en s’attaquant à l’esclavage qui sévissait. A la fois femme de lettres (elle a écrit de nombreuses pièces de théâtre, des romans, des mémoires), polémiste (elle a rédigé de nombreux pamphlets, articles et autres placards), femme politique, elle est le symbole, encore aujourd’hui, des luttes pour la libération des femmes. Elle meurt guillotinée le 3 Novembre 1793 sur la Place de la Révolution.

Afin de mieux cerner le caractère novateur et révolutionnaire de cette Déclaration il nous faut d’abord la resituer dans son contexte historique. Nous verrons dans un premier temps et de façon sommaire, quelle était la place de la femme dans la société française « traditionnelle » et comment s’effectuait son rapport avec le « savoir », pour nous intéresser ensuite plus précisément au statut de la femme à l’époque d’Olympe de Gouges.

A)    Avec le développement de l’Humanisme et de l’imprimerie au début du XVIème siècle, il est convenu dans « les bonnes familles » issues de la noblesse ou de la grande bourgeoisie, de favoriser l’accès des filles à l’éducation (maîtrise du français, langues, notions de mathématiques, littérature…). Certaines d’entre-elles (très peu) eurent la chance, à l’instar de la poétesse Louise Labé, de bénéficier d’un enseignement humaniste de grande qualité. Pour la majeure partie d’entre-elles cependant, le savoir auquel elles ont un peu goûté devait avant tout les préparer à leur rôle d’épouse et de mère de famille.

 

B)    Au XVIIème siècle, quelques femmes de la haute société tiennent des salons où se rencontre l’élite intellectuelle de l’époque. Citons par exemple Ninon de Lenclos dont le salon accueillait régulièrement à Paris des personnalités telles que Molière, La Fontaine, Charles Perrault, Racine… Femme libre dotée de beaucoup d’esprit et d’une grande beauté, sa place en marge de  la « bonne la société » dépendait aussi du bon vouloir de ses illustres amants qui la protégeaient. Des femmes écrivains comme madame de La Fayette ou madame de Sévigné connaissent, sous le couvert de l’anonymat, de réels succès. C’est aussi l’époque des Précieuses qu’ a « ridiculisé » Molière, femmes de la haute société sophistiquées à outrance, éprises de politesse et de savoir, et souvent critiquées.

 

Molière lisant le Tartuffe chez Ninon de Lenclos. Nicolas-André Monsiau.

Molière lisant le Tartuffe chez Ninon de Lenclos. Nicolas-André Monsiau.

 

C)    Au XVIIIème siècle l’instruction des filles progresse un peu et se fait essentiellement à la maison ou dans les établissements religieux. Le rôle maternel des femmes est toujours mis en avant. Des philosophes cependant appellent à un plus grand épanouissement intellectuel pour les femmes. C’est le cas par exemple de d’Alembert qui dans son essai Des femmes (1774) écrit : « A l’égard des ouvrages de génie et de sagacité, mille exemples nous prouvent que la faiblesse du corps n’y est pas un obstacle dans les hommes. Pourquoi donc une éducation plus solide et plus mâle ne mettrait-elle pas les femmes à portée d’y réussir ? »

Condorcet, quant à lui affirme, dans son Essai sur l’admission des femmes au droit de cité (1790) : « Tous n’ont-ils pas violé le principe d’égalité des droits, en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois, en excluant les femmes du droit de cité ? » Cette idée d’égalité entre les deux sexes sera aussi défendue par Diderot et Helvétius.

En 1784 Olympe de Gouges va être vivement marquée par la pièce contestée de Beaumarchais Le mariage de Figaro. Elle en retient la place importante des femmes qui apparaissent comme des êtres responsables victimes des hommes. Elle rédige d’ailleurs une suite intitulée Le mariage inattendu de Chérubin (1786), œuvre dans laquelle elle dénonce le mariage forcé.

Cortège de citoyennes

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D)    Pendant la période révolutionnaire, les femmes ont tenu un rôle très important, en particulier dans les cortèges et les manifestations contre le régime en place. Elles sont au premier rang des révoltes pour la nourriture et l’approvisionnement et s’imposent lors de la marche sur Versailles qui a lieu afin de ramener la famille royale à Paris. Ces « sans-culotte » féminines, présentes dans les assemblées et dans la rue sont cependant mal vues par une opinion publique qui considère qu’elles ne sont pas à leur place. Des femmes de l’aristocratie et de la bourgeoisie, comme Madame de Staël ou Madame Roland,  tiennent des  salons où on  discute réformes politiques et projets de société. Les plus érudites, comme Olympe de Gouges, rédigent des pétitions et des articles. Certaines assistent à des réunions dans des clubs mixtes, d’autres se constituent en sociétés.

Gouache des frères Lesueur représentant le club patriotique des femmes – XVIIIème siecle

Mais nombreuses sont aussi les femmes qui jouent un rôle dans l’opposition à la révolution, en soutenant en particulier le clergé, ce qui va générer dans la population un sentiment de méfiance à leur égard.

Finalement les bénéfices que les femmes ont pu tirer de la révolution sont assez minces (droit au divorce, égalité dans l’héritage). Elles n’ont eu aucun droit politique.

1793 : les sociétés et clubs féminins sont interdits.

1795 : interdiction est faite aux femmes d’assister à une réunion politique. Tout rassemblement de plus de cinq femmes est illégal.

Le code napoléonien viendra ensuite confirmer l’assujettissement des femmes françaises qui perdurera pendant de nombreuses années.

C’est donc dans un contexte franchement hostile qu’Olympe de Gouges a tenté de faire triompher ses idées, on s’en rend d’ailleurs compte en lisant certains commentaires peu flatteurs qui ont paru dans la presse après sa mort.

« Rappelez-vous l’impudente Olympe de Gouges qui la première institua des sociétés de femmes et abandonna les soins du ménage pour se mêler de la République et dont la tête est tombée sous le fer vengeur des lois. » Chaumette, procureur de la commune de Paris, journal Le Moniteur.

« Elle voulut être homme d’état. Il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe ». La feuille du Salut Public.

Olympe de Gouges à l’échafaud

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A NOTER

A plusieurs reprises dans le texte il est question de « L’Être Suprême ». Il s’agit là d’un synonyme de Dieu pour lequel Robespierre instituera un culte en 1794, où se mêleront Déisme (croyance en un dieu unique et créateur de l’univers, mais qui n’intervient pas dans nos existences) et culte de la patrie.

 

 

 

Olympe de Gouges. Dessin anonyme.

 

 

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

Olympe de Gouges

 

 

Avant propos

 

Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique. Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’oeil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’oeuvre immortel. L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.

 

 

Déclaration originale des droits de la femme et de la citoyenne

Déclaration originale des droits de la femme et de la citoyenne

Préambule
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Les mères, les filles, les soeurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution, des bonnes moeurs, et au bonheur de tous.
En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.

  • Article premier
    La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
  • Article II
    Le but de toute association politique est la réunion imprescriptible des droits de la Femme et de l’Homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l’oppression.
  • Article III
    Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la Femme et de l’Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
  • Article IV
    La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi, l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.
  • Article V
    Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société : tout ce qui n’est pas défendu pas ces lois, sages et divines, ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas.
  • Article VI
    La Loi doit être l’expression de la volonté générale ; tous les Citoyens et Citoyennes doivent concourir personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.
  • Article VII
    Nulle femme n’est exceptée ; elle est accusée, arrêtée, et détenue dans les cas déterminés par la Loi. Les femmes obéissent comme les hommes à cette Loi rigoureuse.
  • Article VIII
    La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée aux femmes.
  • Article IX
    Toute femme étant déclarée coupable, toute rigueur est exercée par la Loi.
  • Article X
    Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la Loi.
  • Article XI
    La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants. Toute Citoyenne peut donc dire librement, je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
  • Article XII
    La garantie des droits de la femme et de la Citoyenne nécessite une utilité majeure ; cette garantie doit être instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de celles à qui elle est confiée.
  • Article XIII
    Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, les contributions de la femme et de l’homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l’industrie.
  • Article XIV
    Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique. Les Citoyennes ne peuvent y adhérer que par l’admission d’un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans l’administration publique, et de déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée de l’impôt.
  • Article XV
    La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration.
  • Article XVI
    Toute société, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ; la constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la Nation, n’a pas coopéré à sa rédaction.

Article XVII
Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés ; elles ont pour chacun un droit lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

 

Postambule

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Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : “femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ?-Tout, auriez vous à répondre”. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.” Passons maintenant à l’effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société ; et puisqu’il est question, en ce moment, d’une éducation nationale, voyons si nos sages Législateurs penseront sainement sur l’éducation des femmes.

Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l’administration nocturne des femmes ; le cabinet n’avait point de secret pour leur indiscrétion ; ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat, cardinalat ; enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l’ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable et méprisé. Dans cette sorte d’antithèse, que de remarques n’ai-je point à offrir ! Je n’ai qu’un moment pour les faire, mais ce moment fixera l’attention de la postérité la plus reculée. Sous l’ancien régime, tout était vicieux, tout était coupable ; mais ne pourrait-on pas apercevoir l’amélioration des choses dans la substance même des vices ? Une femme n’avait besoin que d’être belle ou aimable ; quand elle possédait ces deux avantages, elle voyait cent fortunes à ses pieds. Si elle n’en profitait pas, elle avait un caractère bizarre, ou une philosophie peu commune, qui la portait a  u mépris des richesses ; alors elle n’était plus considérée que comme une mauvaise tête : la plus indécente se faisait respecter avec de l’or ; le commerce des femmes était une espèce d’industrie reçue dans la première classe, qui, désormais, n’aura plus de crédit. S’il en avait encore, la révolution serait perdue, et sous de nouveaux rapports, nous serions toujours corrompus ; cependant la raison peut-elle se dissimuler que tout autre chemin à la fortune est fermé à la femme que l’homme achète, comme l’esclave sur les côtes d’Afrique. La différence est grande ; on le sait. L’esclave commande au maître ; mais si le maître lui donne la liberté sans récompense, et à un âge où l’esclave a perdu tous ses charmes, que devient cette infortunée ? Le jouet du mépris ; les portes même de la bienfaisance lui seront fermées ; elle est pauvre et vieille, dit-on ; pourquoi n’a-t-elle pas su faire fortune ? D’autres exemples encore plus touchants s’offrent à la raison. Une jeune personne sans expérience, séduite par un homme qu’elle aime, abandonnera ses parents pour le suivre ; l’ingrat la laissera après quelques années, et plus elle aura vieilli avec lui, plus son inconstance sera inhumaine ; si elle a des enfants, il l’abandonnera de même. S’il est riche, il se croira dispensé de partager sa fortune avec ses nobles victimes. Si quelque engagement le lie à des devoirs, il en violera la puissance en espérant tout des lois. S’il est marié, tout autre engagement perd ses droits. Quelles lois reste-t-il donc à faire pour extirper le vice jusque dans la racine ? Celle du partage des fortunes entre les hommes et les femmes, et de l’administration publique. On conçoit aisément que celle qui est née d’une famille riche, gagne beaucoup avec l’égalité des partages. Mais celle qui est née d’une famille pauvre, avec du mérite et des vertus ; quel est son lot ?

La pauvreté et l’opprobre. Si elle n’excelle pas précisément en musique ou en peinture, elle ne peut être admise à aucune fonction publique, quand elle en aurait toute la capacité. Je ne veux donner qu’un aperçu des choses, je les approfondirai dans la nouvelle édition de tous mes ouvrages politiques que je me propose de donner au public dans quelques jours, avec des notes.

Je reprends mon texte quant aux mœurs. Le mariage est le tombeau de la confiance et de l’amour. La femme mariée peut impunément donner des bâtards à son mari, et la fortune qui ne leur appartient pas. Celle qui ne l’est pas, n’a qu’un faible droit : les lois anciennes et inhumaines lui refusaient ce droit sur le nom et sur le bien de leur père, pour ses enfants, et l’on n’a pas fait de nouvelles lois sur cette matière. Si tenter de donner à mon sexe une consistance honorable et juste est considéré dans ce moment comme un paradoxe de ma part, et comme tenter l’impossible, je laisse aux hommes à venir la gloire de traiter cette matière ; mais, en attendant, on peut la préparer par l’éducation nationale, par la restauration des mœurs et par les conventions conjugales.

 

Olympe de Gouges

 

Septembre 1791

 

 

 

 

EXTRAITS 1  Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

 

Avant propos

 

Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique. Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’oeil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’oeuvre immortel. L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.

 

 

 

Préambule

 

Les mères, les filles, les soeurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution, des bonnes moeurs, et au bonheur de tous. En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.

 

QUESTIONS

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Avant propos

1)      En vous aidant de l’extrait emprunté à Rousseau, démontrez que cet avant-propos évoque un véritable contrat social entre l’homme et la femme.

2)      Pour quelles raisons Olympe de Gouges fait-elle référence à la nature ?

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Préambule

1)      Selon l’auteure, qu’est-ce qui est à l’origine des malheurs de la société ?

2)      Que préconise-t-elle alors pour corriger cette société et la rendre meilleure ?

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Jean-Jacques Rousseau

Du contrat social ; Livre I, chapitre 6. 1762.

« Je suppose que les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l’état de nature l’emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister, et le genre humain périrait s’il ne changeait sa manière d’être.

Or comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent, ils n’ont plus d’autre moyen pour se conserver que de former par agrégation(1) une somme de forces qui puisse l’emporter sur la résistance, de les mettre en jeu par un seul mobile et de les faire agir de concert.

Cette somme de forces ne peut naître que du concours de plusieurs : mais la force et la liberté de chaque homme étant les premiers éléments de la conservation, comment les engagera-t-il sans se nuire, et sans négliger les soins qu’il se doit ? Cette difficulté ramenée à mon sujet peut s’énoncer en ces termes.

« Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et resta aussi libre qu’auparavant ». Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution.

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EXTRAIT 2  Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

 

  • Article premier
    La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
  • Article II
    Le but de toute association politique est la réunion imprescriptible des droits de la Femme et de l’Homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l’oppression.
  • Article III
    Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la Femme et de l’Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
  • Article IV
    La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi, l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.
  • Article V
    Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société : tout ce qui n’est pas défendu pas ces lois, sages et divines, ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas.
  • Article VI
    La Loi doit être l’expression de la volonté générale ; tous les Citoyens et Citoyennes doivent concourir personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.
  • Article VII
    Nulle femme n’est exceptée ; elle est accusée, arrêtée, et détenue dans les cas déterminés par la Loi. Les femmes obéissent comme les hommes à cette Loi rigoureuse.
  • Article VIII
    La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée aux femmes.
  • Article IX
    Toute femme étant déclarée coupable, toute rigueur est exercée par la Loi.
  • Article X
    Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la Loi.
  • Article XI
    La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants. Toute Citoyenne peut donc dire librement, je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
  • Article XII
    La garantie des droits de la femme et de la Citoyenne nécessite une utilité majeure ; cette garantie doit être instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de celles à qui elle est confiée.
  • Article XIII
    Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, les contributions de la femme et de l’homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l’industrie.
  • Article XIV
    Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique. Les Citoyennes ne peuvent y adhérer que par l’admission d’un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans l’administration publique, et de déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée de l’impôt.
  • Article XV
    La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration.
  • Article XVI
    Toute société, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ; la constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la Nation, n’a pas coopéré à sa rédaction.

Article XVII
Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés ; elles ont pour chacun un droit lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

 

 

 

QUESTIONS

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1)      Si la femme a des droits, elle a aussi des devoirs. Dressez la liste de ceux-ci.

2)      Pour quelle raison, selon vous, l’auteure insiste-t-elle tant sur ces devoirs ?

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EXTRAIT 3 Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

 

Postambule – Extrait

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Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : “femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ?-Tout, auriez vous à répondre”. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.” Passons maintenant à l’effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société ; et puisqu’il est question, en ce moment, d’une éducation nationale, voyons si nos sages Législateurs penseront sainement sur l’éducation des femmes.

 

 

QUESTIONS

 

1)      Que reproche Olympe de Gouges aux femmes dès le début du texte ?

Fragonard, Le baiser à la dérobée – Femme complice ou femme abusée ?

2)      Que reproche-t-elle aux hommes ?

3)      Dans quelle mesure peut-on dire que, selon Olympe de Gouges, la révolution est incomplète ?

 

 

EXTRAIT 4  Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

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Postambule

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Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l’administration nocturne des femmes ; le cabinet n’avait point de secret pour leur indiscrétion ; ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat, cardinalat ; enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l’ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable et méprisé. Dans cette sorte d’antithèse, que de remarques n’ai-je point à offrir ! Je n’ai qu’un moment pour les faire, mais ce moment fixera l’attention de la postérité la plus reculée. Sous l’ancien régime, tout était vicieux, tout était coupable ; mais ne pourrait-on pas apercevoir l’amélioration des choses dans la substance même des vices ? Une femme n’avait besoin que d’être belle ou aimable ; quand elle possédait ces deux avantages, elle voyait cent fortunes à ses pieds. Si elle n’en profitait pas, elle avait un caractère bizarre, ou une philosophie peu commune, qui la portait a  u mépris des richesses ; alors elle n’était plus considérée que comme une mauvaise tête : la plus indécente se faisait respecter avec de l’or ; le commerce des femmes était une espèce d’industrie reçue dans la première classe, qui, désormais, n’aura plus de crédit. S’il en avait encore, la révolution serait perdue, et sous de nouveaux rapports, nous serions toujours corrompus ; cependant la raison peut-elle se dissimuler que tout autre chemin à la fortune est fermé à la femme que l’homme achète, comme l’esclave sur les côtes d’Afrique. La différence est grande ; on le sait. L’esclave commande au maître ; mais si le maître lui donne la liberté sans récompense, et à un âge où l’esclave a perdu tous ses charmes, que devient cette infortunée ? Le jouet du mépris ; les portes même de la bienfaisance lui seront fermées ; elle est pauvre et vieille, dit-on ; pourquoi n’a-t-elle pas su faire fortune ? D’autres exemples encore plus touchants s’offrent à la raison. Une jeune personne sans expérience, séduite par un homme qu’elle aime, abandonnera ses parents pour le suivre ; l’ingrat la laissera après quelques années, et plus elle aura vieilli avec lui, plus son inconstance sera inhumaine ; si elle a des enfants, il l’abandonnera de même. S’il est riche, il se croira dispensé de partager sa fortune avec ses nobles victimes. Si quelque engagement le lie à des devoirs, il en violera la puissance en espérant tout des lois. S’il est marié, tout autre engagement perd ses droits. Quelles lois reste-t-il donc à faire pour extirper le vice jusque dans la racine ? Celle du partage des fortunes entre les hommes et les femmes, et de l’administration publique. On conçoit aisément que celle qui est née d’une famille riche, gagne beaucoup avec l’égalité des partages. Mais celle qui est née d’une famille pauvre, avec du mérite et des vertus ; quel est son lot ? La pauvreté et l’opprobre. Si elle n’excelle pas précisément en musique ou en peinture, elle ne peut être admise à aucune fonction publique, quand elle en aurait toute la capacité. Je ne veux donner qu’un aperçu des choses, je les approfondirai dans la nouvelle édition de tous mes ouvrages politiques que je me propose de donner au public dans quelques jours, avec des notes.

Je reprends mon texte quant aux mœurs. Le mariage est le tombeau de la confiance et de l’amour. La femme mariée peut impunément donner des bâtards à son mari, et la fortune qui ne leur appartient pas. Celle qui ne l’est pas, n’a qu’un faible droit : les lois anciennes et inhumaines lui refusaient ce droit sur le nom et sur le bien de leur père, pour ses enfants, et l’on n’a pas fait de nouvelles lois sur cette matière. Si tenter de donner à mon sexe une consistance honorable et juste est considéré dans ce moment comme un paradoxe de ma part, et comme tenter l’impossible, je laisse aux hommes à venir la gloire de traiter cette matière ; mais, en attendant, on peut la préparer par l’éducation nationale, par la restauration des mœurs et par les conventions conjugales.

 

 

QUESTIONS

 

1)      Comment comprenez-vous cette phrase : « Les femmes (avant la révolution) ont fait plus de mal que de bien» ?

2)      Quelles étaient, selon l’auteure, les « armes » des femmes sous l’ancien régime ?

3)      Quel est le sort des femmes qui ne plaisent plus ?

 

 

Documents annexes

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TEXTE 1

Jean Starobinski. Les expériences de la liberté.

La femme règne (on lui fait croire qu’elle règne). C’est autour d’elle que flotte la promesse du plaisir. Mais la situation est ambiguë. Pour quelques unes qui sont maîtresses d’elles-mêmes, qui règnent sur les salons par leur esprit et leur science, combien d’autres en revanche que l’on traite en objets : enfermées dans des couvents, mariées contre leur gré, conquises par ruse. L’histoire nous apprend que la majorité reste strictement confinée dans le ménage où elles exerceront leurs vertus domestiques. Mais il en va autrement en ces terres d’élection de la richesse, où brille le luxe et où l’art se dépense. La phraséologie du respect passionné fait accroire à la femme qu’un destin dépend de ses faveurs : le soupirant n’a cependant point d’autre ambition que d’avoir une femme de plus. Nulle surprise si bientôt la femme se masque à son tour et rivalise d’hypocrisie avec l’homme : le sentiment n’est plus guère que le point d’honneur du désir. Les protestations tendres sont le langage chiffré de l’impatience charnelle, le prélude intelligent aux défaites de la raison. Tout un système très raffiné d’attentions, d’égards, de compliments, de billets et de portraits échangés se déploie pour en arriver d’une manière sûre au tumulte de la satisfaction animale.

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QUESTION

Pour quelles raisons, selon Jean Starobinski, le règne de la femme au XVIIIème siècle est-il fictif ?

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TEXTE 2

Choderlos de Laclos De l’éducation des femmes. 1785.

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Ô ! femmes, approchez et venez m’entendre. Que votre curiosité, dirigée une fois sur des objets utiles, contemple les avantages que vous avait donnés la nature et que la société vous a ravis. Venez apprendre comment, nées compagnes de l’homme, vous êtes devenues son esclave ; comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel ; comment enfin, dégradées de plus en plus par votre longue habitude de l’esclavage, vous en avez préféré les vices avilissants, mais commodes, aux vertus plus pénibles d’un être libre et responsable. Si ce tableau fidèlement tracé vous laisse de sang-froid, si vous pouvez le considérer sans émotion, retournez à vos occupations futiles. Le mal est sans remède, les vices se sont changés en mœurs. Mais si, au récit de vos malheurs et de vos pertes, vous rougissez de honte et de colère, si des larmes d’indignation s’échappent de vos yeux, si vous brûlez du noble désir de ressaisir vos avantages, de rentrer dans la plénitude de votre être, ne vous laissez plus abuser par de trompeuses promesses, n’attendez point les secours des hommes auteurs de vos maux ; ils n’ont ni la volonté, ni la puissance de les finir, et comment pourraient-ils vouloir former des femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir ? Apprenez qu’on ne sort de l’esclavage que par une grande révolution. Cette révolution est-elle possible ? C’est à vous seules à le dire puisqu’elle dépend de votre courage.

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QUESTION

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Quels sont les points communs entre ce texte et le deuxième paragraphe du postambule de La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ? (thème, thèse, arguments)

 

 TEXTE 3

Lettre d’Olympe de Gouges à son fils. 1793.
Au citoyen Degouges
Officier général
dans l’armée du Rhin

Je meurs, mon cher fils, victime de mon idolâtrie pour la patrie et pour le peuple. Ses ennemis, sous le spécieux masque du républicanisme, m’ont conduite sûrement à l’échafaud.
[. . .]
Pouvais-je croire que les tigres enragés seraient juges eux-mêmes contre la loi, contre même ce public assemblé qui bientôt leur reprochera ma mort? Dès l’instant de la signification de cet acte, la loi me donnait le droit de voir mes défenseurs et toutes les personnes de ma connaissance. On m’a tout intercepté! J’étais comme en terre, ne pouvant pas même parvenir à parler au concierge. La loi me donnait aussi le droit de choisir mes jurés: on me signifia la liste à minuit et le lendemain à sept heures on me fait descendre au tribunal malade et faible et n’ayant pas l’art de parler au public. Je demandai le défenseur que j’avais choisi. On me dit qu’il n’y est pas ou qu’il ne voulait pas se charger de ma cause. J’en demande un autre à son défaut, on me dit que j’ai assez d’orgueil pour défendre mes amis, que sans doute j’en avais de reste pour défendre mon innocence qui parlait aux yeux de tous les assistants. Je n’y mis pas ce qu’un défenseur aurait mis pour moi.
Tu sais les services de bienfaits que j’ai rendus au peuple. Vingt fois j’ai fait pâlir mes bourreaux, ne sachant que me répondre à chaque phrase qui caractérisait mon innocence contre leur mauvaise foi.
Je meurs mon fils, mon cher fils, je meurs impuissante. On a violé toutes les lois pour la femme la plus vertueuse de son siècle. Je te. . .
Rappelle-toi de mes prédications. Je laisse ma montre à ta femme ainsi que la reconnaissance de mes bijoux au Mont de Piété, le flacon et les clefs des malles que j’ai. . .

Olympe Degouges

Adieu, mon fils, je ne vivrai plus quand tu recevras cette lettre. Tu répareras l’injustice que l’on fait à ta mère.

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TEXTE 4

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Réflexions sur les hommes nègres

(Février 1788)

 

L’espèce d’hommes nègres m’a toujours intéressée à son déplorable sort. A peine

mes connaissances commençaient à se développer, et dans un âge où les enfants ne pensent

pas, que l’aspect d’une Négresse que je vis pour la première fois, me porta à réfléchir, et à

faire des questions sur sa couleur.

Ceux que je pus interroger alors, ne satisfirent point ma curiosité et mon

raisonnement. Ils traitaient ces gens-là de brutes, d’êtres que le Ciel avait maudits; mais, en

avançant en âge, je vis clairement que c’était la force et le préjugé qui les avaient condamnés

à cet horrible esclavage, que la Nature n’y avait aucune part, et que l’injuste et puissant

intérêt des Blancs avait tout fait.

Pénétrée depuis longtemps de cette vérité et de leur affreuse situation, je traitai leur

Histoire dans le premier sujet dramatique qui sortit de mon imagination. Plusieurs hommes

se sont occupés de leur sort; ils ont travaillé à l’adoucir; mais aucun n’a songé à les présenter

sur la Scène avec le costume et la couleur, tel que je l’avais essayé, si la Comédie-Française

ne s’y était point opposée (1).

Mirza avait conservé son langage naturel, et rien n’était plus tendre. Il me semble

qu’il ajoutait à l’intérêt de ce drame, et c’était bien de l’avis de tous les connaisseurs, excepté

les Comédiens. Ne nous occupons plus de ma Pièce, telle qu’elle a été reçue. Je la présente

au Public.

Revenons à l’effroyable sort des Nègres; quand s’occupera-t-on de le changer, ou au

moins de l’adoucir? Je ne connais rien à la Politique des Gouvernements; mais ils sont

justes, et jamais la Loi Naturelle ne s’y fit mieux sentir. Ils portent un oeil favorable sur tous

les premiers abus. L’homme partout est égal. Les Rois justes ne veulent point d’esclaves; ils

savent qu’ils ont des sujets soumis, et la France n’abandonnera pas des malheureux qui

souffrent mille trépas pour un, depuis que l’intérêt et l’ambition ont été habiter les îles les

plus inconnues. Les Européens avides de sang et de ce métal que la cupidité a nommé de

l’or, ont fait changer la Nature dans ces climats heureux. Le père a méconnu son enfant, le

fils a sacrifié son père, les frères se sont combattus, et les vaincus ont été vendus comme des

boeufs au marché. Que dis-je? c’est devenu un Commerce dans les quatre parties du monde.

Un commerce d’hommes!. . . grand Dieu! et la Nature ne frémit pas! S’ils sont des

animaux, ne le sommes-nous pas comme eux? et en quoi les Blancs diffèrent-ils de cette

espèce? C’est dans la couleur . . . Pourquoi la blonde fade ne veut-elle pas avoir la

préférence sur la brune qui tient du mulâtre? Cette tentation est aussi frappante que du

Nègre au mulâtre. La couleur de l’homme est nuancée, comme dans tous les animaux que la

Nature a produits, ainsi que les plantes et les minéraux. Pourquoi le jour ne le dispute-t-il

pas à la nuit, le soleil à la lune, et les étoiles au firmament? Tout est varié, et c’est là la

beauté de la Nature. Pourquoi donc détruire son Ouvrage?

L’homme n’est-il pas son plus beau chef-d’oeuvre ? L’Ottoman fait bien des Blancs

ce que nous faisons des Nègres : nous ne le traitons cependant pas de barbare et d’homme

inhumain, et nous exerçons la même cruauté sur des hommes qui n’ont d’autre résistance que

leur soumission.

Mais quand cette soumission s’est une fois lassée, que produit le despotisme barbare

des habitants des Isles et des Indes? Des révoltes de toute espèce, des carnages que la

puissance des troupes ne fait qu’augmenter, des empoisonnements, et tout ce que l’homme

peut faire quand une fois il est révolté. N’est-il pas atroce aux Européens, qui ont acquis par

leur industrie des habitations considérables, de faire rouer de coups du matin au soir les

infortunés qui n’en cultiveraient pas moins leurs champs fertiles, s’ils avaient plus de liberté

et de douceur?

Leur sort n’est-il pas des plus cruels, leurs travaux assez pénibles, sans qu’on exerce

sur eux, pour la plus petite faute, les plus horribles châtiments? On parle de changer leur

sort, de proposer les moyens de l’adoucir, sans craindre que cette espèce d’hommes fasse un

mauvais usage d’une liberté entière et surbordonnée.

Je n’entends rien à la Politique. On augure qu’une liberté générale rendrait les

hommes Nègres aussi essentiels que les Blancs: qu’après les avoir laissés maîtres de leur

sort, ils le soient de leurs volontés: qu’ils puissent élever leurs enfants auprès d’eux. Ils

seront plus exacts aux travaux, et plus zélés. L’esprit de parti ne les tourmentera plus, le

droit de se lever comme les autres hommes les rendra plus sages et plus humains. Il n’y aura

plus à craindre de conspirations funestes. Ils seront les cultivateurs libres de leurs contrées,

comme les Laboureurs en Europe. Ils ne quitteront point leurs champs pour aller chez les

Nations étrangères.

La liberté des Nègres fera quelques déserteurs, mais beaucoup moins que les

habitants des campagnes françaises. A peine les jeunes Villageois ont obtenu l’âge, la force

et le courage, qu’ils s’acheminent vers la Capitale pour y prendre le noble emploi de Laquais

ou de Crocheteur. Il y a cent Serviteurs pour une place, tandis que nos champs manquent de

cultivateurs.

Cette liberté multiplie un nombre infini d’oisifs, de malheureux, enfin de mauvais

sujets de toute espèce. Qu’on mette une limite sage et salutaire à chaque Peuple, c’est l’art

des Souverains, et des Etats Républicains.

Mes connaissances naturelles pourraient me faire trouver un moyen sûr: mais je me

garderai bien de le présenter. Il me faudrait être plus instruite et plus éclairée sur la Politique

des Gouvernements. Je l’ai dit, je ne sais rien, et c’est au hasard que je soumets mes

observations bonnes ou mauvaises. Le sort de ces infortunés doit m’intéresser plus que

personne, puisque voilà la cinquième année que j’ai conçu un sujet dramatique, d’après leur

déplorable Histoire.

Je n’ai qu’un conseil à donner aux Comédiens-Français, et c’est la seule grâce que je

leur demanderai de ma vie: c’est d’adopter la couleur et le costume nègre. Jamais occasion

ne fut plus favorable, et j’espère que la Représentation de ce Drame produira l’effet qu’on en

doit attendre en faveur de ces victimes de l’ambition.

Le costume ajoute de moitié à l’intérêt de cette Pièce. Elle émouvra la plume et le

coeur de nos meilleurs Ecrivains. Mon but sera rempli, mon ambition satisfaite, et la

Comédie s’élèvera au lieu de s’avilir, par la couleur.

Mon bonheur sans doute serait trop grand, si je voyais la Représentation de ma

Pièce, comme je la désire. Cette faible esquisse demanderait un tableau touchant pour la

postérité. Les peintres qui auraient l’ambition d’y exercer leurs pinceaux, pourraient être

considérés comme les Fondateurs de l’Humanité la plus sage et la plus utile, et je suis sûre

d’avance que leur opinion soutiendra la faiblesse de ce Drame, en faveur du sujet.

Jouez donc ma Pièce, Mesdames et Messieurs, elle a attendu assez longtemps son

tour. La voilà imprimée, vous l’avez voulu; mais toutes les Nations avec moi vous en

demandent la représentation, persuadée qu’elles ne me démentiront pas. Cette sensibilité qui

ressemblerait à l’amour-propre chez tout autre que chez moi, n’est que l’effet que produisent

sur mon coeur toutes les clameurs publiques en faveur des hommes nègres. Tout Lecteur

qui m’a bien appréciée sera convaincu de cette vérité.

Enfin passez-moi ces derniers avis, ils me coûtent cher, et je crois à ce prix pouvoir

les donner. Adieu, Mesdames et Messieurs; après mes observations, jouez ma pièce comme

vous le jugerez à propos, je ne serai point aux répétitions. J’abandonne à mon fils tous mes

droits; puisse-t-il en faire un bon usage, et se préserver de devenir Auteur pour la Comédie-

Française. S’il me croit, il ne griffonnera jamais de papier en littérature.

 

(1)   Olympe de Gouges évoque ici une de ses pièces  Zamore et Mirza  reçue en 1785 à la Comédie française. Elle fut ensuite retirée du répertoire car elle déplaisait à de nombreux esclavagistes de la cour de Louis XVI qui tiraient une grande partie de leurs revenus du commerce des colonies. Ils bénéficiaient des avantages du Code Noir datant de Louis XIV. La pièce fut jouée ensuite sous le titre L’esclavage des Nègres ou l’Heureux naufrage en 1789. Elle sera reprise en 1792 sous le titre L’esclavage des Noirs.

 

QUESTIONS

1)      D’après Olympe de Gouges quel est l’argument, jugé par elle fallacieux, mis en avant par les européens afin de discriminer les Noirs ?

2)      Quelles sont, selon l’auteure, les véritables raisons de cette discrimination ?

3)      Quel argument, cher aux philosophes des Lumières, Olympe de Gouges avance-t-elle pour justifier l’égalité entre Noirs et Blancs ?

 

9 réponses
  1. avatar
    nathoune98 dit :

    Olympe de gouges m’a beaucoup intéressé car elle s’est défendue en tant que féministe , humaniste et femme politique surtout avec l’une de ses œuvres les plus connues qui s’intitule  » La Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne  » que j’ai beaucoup aimée car elle a donné sa vie pour défendre les causes des femmes.

  2. avatar
    bonjour dit :

    L’histoire d’Olympe de Gouges m’a beaucoup marqué de par ses nombreux ouvrages et ses nombreuses actions en faveurs du sexe féminin a l’époque .

  3. avatar
    oiseau dit :

    J’ai beaucoup aimé l’histoire d’Olympe de Gouges,Car grâce à ses nombreuses contributions de l’époque,Olympe de gouges restera une figure importante de l’histoire et un symbole de courage et d’engagement pour les générations à venir

  4. avatar
    Palene dit :

    La biographie de olympe de gouges m’a énormément intéressé car c’est l’une des premières femmes à se battre sur différents sujets malgré les menaces. Elle est restée fidèle à ses convictions et je trouve ça admirable

  5. avatar
    Htmwp dit :

    J’ai trouvé cette oeuvre très bien , cela m’a permis de développer mes connaissances sur l’auteure et ses combats.

  6. avatar
    tassmani dit :

    Ses œuvres sont très intéressantes car elle défend plusieurs causes comme les causes humaniste , féministe et politique .

  7. avatar
    yyyooh dit :

    Cette oeuvre est vraiment très intéressante, j’ai acquis de nouvelle connaissances sur la lutte pour le féministe.

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